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esprit, mes anges, toute votre adresse, toute votre politique, pour conduire à bien cette plaisante aventure[1] le plus promptement que vous pourrez. Je vous renverrai votre copie, la première poste après celle où je l’aurai reçue.

Les frères Cramer ont envoyé à Paris les Contes de Guillaume Vadé, avec quelques autres pièces qu’on pourrait très-bien brûler comme un mandement d’évêque. Vous pensez bien que ces pièces ne sont pas de moi. Lesdits frères Cramer se sont imaginé très-mal à propos qu’ils vendraient mieux leurs denrées s’ils y mettaient mon nom. Ils ont fait imprimer un titre qui est très-ridicule. Ils intitulent ce volume de Contes de Guillaume Vadé, Suite de la Collection des Œuvres de V.[2], etc. J’en ai été indigné ; ils m’ont promis de supprimer cette impertinence ; j’ai tout lieu de croire qu’ils ne l’ont pas l’ait : en ce cas, je vous demande en grâce de vous servir de tout votre crédit pour faire saisir l’ouvrage. J’en écrirai moi-même à M. de Sartine avec une violente véhémence, et je me vengerai de cet horrible attentat d’une façon exemplaire. Je voudrais que mon nom fût anéanti, et que mes œuvres subsistassent. J’aime les Contes de Guillaume Vadé ; mais je voudrais qu’on ne parlât jamais de moi. Je voudrais n’être connu que de mes anges, et je prétends bien que je serai entièrement ignoré dans notre belle conspiration ; mais je vous avertis qu’il faudra absolument un nom : car si on ne nomme personne, on me nommera. Il faudra au moins dire que c’est un jeune jésuite ; par exemple, celui au derrière duquel[3] Pompignan marchait à la procession, ou bien quelque abbé qui veut être prédicateur du roi.

Que voulez-vous que je dise à M. de Richelieu, quand il me mande qu’il a arrangé tout avec ses camarades les premiers gentilshommes ? Je ne crois pas que, de ma petite métairie des Délices, en pays genevois, je puisse lutter honnêtement contre quatre grands officiers de la couronne. Ma destinée est d’être écrasé, persécuté, vilipendé, bafoué, et d’en rire. Pour me dépiquer, je mets sous les ailes de mes anges le petit mémoire ci-joint pour la Gazette littéraire. Je n’ai encore rien reçu

  1. De faire représenter le Triumvirat comme l’œuvre d’un jeune auteur. (B.)
  2. C’est ce qu’on lit aux faux titres de l’Appel aux nations, publié en 1761, voyez tome XXIV, page 191), et d’un volume intitulé Mélanges de littérature, d’Histoire et de philosophie, in-8o de 94 pages, qui est aussi de 1761. Mais il parait que Cramer ne mit pas ce faux titre aux Contes de Guillaume Vadé, ou du moins qu’il le supprima (voyez lettre 5638). (B.)
  3. Voyez tome XXIV, page 458.