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pas que je n’aie entendu faire de belles critiques de ce charmant ouvrage à des gens qui à la vérité sont un peu difficiles, excepté sur les feuilles de Fréron. Ce sont pourtant des gens que vous louez, que vous croyez de vos amis, à qui vous écrivez, et même en prose et en vers : je vous les laisse à deviner[1], mais si vous devinez juste, ne me trahissez pas, et faites-en seulement votre profit.

À propos de lettres, vous en avez écrit une charmante au prince Louis[2], qui en est ravi ; il la montre à tout le monde ; et en vérité il mérite ce que vous lui dites par la manière dont il se conduit avec les gens de lettres.

Nosseigneurs du parlement travaillent à force leurs grosses et pesantes remontrances sur le mandement de l’archevêque de Paris en faveur des jésuites : cela est bien long, et surtout bien important. On prétend pourtant que l’effet de ces remontrances sera d’expulser les frères jésuites de Versailles, et peut-être du royaume : je leur souhaite à tous un bon voyage. Leur ami Caveyrac, auteur de l’Apologie[3] de la Saint-Barthélemy, a fait en leur faveur un ouvrage forcené qui a pour titre : Il est temps de parler[4] ; je crois qu’on y répondra par : Il est temps de partir. Notez que ce Caveyrac, qui écrit pour de l’argent, a autrefois fait des factums contre le Père Girard en faveur de la Cadiere : ainsi sont faits ces marauds-là.

Adieu, mon cher maître. Vous me conseillez de rire[5], j’y fais de mon mieux, et je vous assure que j’ai bien de quoi. Je ne sais de quel côté le vent tournera pour l’auteur des Quatre Saisons[6] ; mais si son ambition se borne à faire le saint chrême et à donner la confirmation, je le trouve bien modeste pour un cardinal philosophe. J’aimerais mieux qu’il donnât un soufflet au fanatisme en l’expulsant, qu’à ses diocésains en les confirmant. Adieu, encore une fois ; je vous embrasse et vous révère. Vous prétendez que mes lettres vous amusent ; je vous répondrai comme le feu médecin Dumoulin, grand fesse-mathieu de son métier : « Mes enfants, disait-il à ses héritiers, vous n’aurez jamais autant de plaisir à dépenser l’argent que je vous laisse que j’en ai eu à l’amasser. »

  1. La marquise du Deffant. (K.)
  2. Le prince Louis-R-E. de Rohan, membre de l’Académie française. Cette lettre manque.
  3. Voyez la note, tome XXIV, page 476.
  4. Il est temps de parler, ou Compte rendu au public des pièces légales de Me Ripert de Monclar, et de tous les événements arrivés en Provence à l’occasion de l’affaire des Jésuites ; Anvers, 1763, deux volumes in-12. L’auteur de cet ouvrage est l’abbé Dazès.
  5. Voyez page 110.
  6. Bernis.