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tribué à Saint-Évremont[1]. Quand vous n’aurez rien à faire, écrivez-moi ; vos lettres me prolongeront la vie : je les relis vingt fois, et mon cœur se dilate. Une lettre de vous vaut mieux que tout ce qu’on écrit depuis vingt ans.

Je vous aime comme je vous estime.


5546. — À M. DAMILAVILLE.
30 janvier.

Je demeure toujours persuadé avec vous, mon cher frére, que ce temps-ci n’est pas propre à faire paraître le Traité sur la Tolérance. Je n’en suis point l’auteur, comme vous savez, et je ne m’intéressais à cet ouvrage uniquement que par principe d’humanité. Ce même principe me fait désirer que l’ouvrage ne paraisse point. C’est un mets qu’il ne faut présenter que quand on aura faim. Les Français ont actuellement l’estomac surchargé de mandements, de remontrances, d’opéras-comiques, etc. Il faut laisser passer leur indigestion.

Est-il vrai, mon cher frère, qu’on a mis en lumière, au bas de l’escalier du May, la Pastorale de monseigneur ? L’auteur sera assurément inséré dans le Martyrologe romain. Tout ceci ne fait pas de bien à l’inf… Nos plus grands ennemis combattent pour la bonne cause, sans le savoir. Tout ce que je crains, c’est qu’un esprit de presbytérianisme ne s’empare de la tête des Français, et alors la nation est perdue. Douze parlements jansénistes sont capables de faire des Français un peuple d’atrabilaires. Il n’y a plus de gaieté qu’à l’Opéra-Comique. Tous les livres écrits depuis quelque temps respirent je ne sais quoi de sombre et de pédantesque, à commencer par l’Ami des Hommes[2], et à finir par les Richesses de l’État[3]. Je ne vois que des fous qui calculent mal.

Vous m’aviez promis le livre du lourd Crevier[4]. Je vous demande en grâce de le joindre aux Fonctions du Parlement[5]. Je souhaite que le livre attribué à Saint-Évremont, dont vous m’avez régalé, puisse être sur toutes les cheminées de Paris. Il a beau

  1. l’Analyse de la religion chrétienne ; voyez tome XVIII, page 264 ; et XXVI, page 500.
  2. Voyez la note, tome XX, page 249.
  3. Voyez, tome XLII, la note 2, page 499.
  4. Voyez la note 2, page 106.
  5. Lettres historiques sur les fonctions essentielles du parlement, par Lepaige, 1753, deux parties in-12.