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lait empêcher la nation de penser. Je voudrais que vous eussiez vu un animal nommé Maboul[1] ; c’était un bien sot T, chargé de la douane des idées sous le T d’Aguesseau. Ensuite viennent les sous-T, qui sont une demi-douzaine de gredins dont l’emploi est d’ôter, pour quatre cents francs par an[2], tout ce qu’il y a de bon dans les livres.

Les derniers T sont les polissons de la chambre syndicale ; ainsi je ne suis pas étonné qu’un pauvre homme qui a le privilège des fiacres à Lyon ne veuille pas s’exposer à la colère de tant de T et de sous-T. J’avoue qu’il ne doit pas risquer ses fiacres pour faire aller Gabriel Cramer en carrosse.

Vous remarquerez, s’il vous plaît, mon cher philosophe, que l’auteur de la Tolérance est un bon prêtre, un brave théologien, et qu’il y aurait une injustice manifeste à m’attribuer cet ouvrage. Je conseille à l’auteur de ne le pas publier si tôt ; il n’est pas juste que la raison s’avise de paraître au milieu de tant de remontrances, de mandements, d’opéras-comiques, qui occupent vos compatriotes.

On dit qu’un naturaliste fait actuellement l’Histoire des Singes. Si cet auteur est à Paris, il doit avoir d’excellents mémoires.

Je ne sais encore si le carnifex de messieurs a brûlé la Pastorale de monseigneur[3]. Que vous êtes heureux ! vous devez rire du matin au soir de tout ce que vous voyez. Vous avez assurément l’esprit en joie ; vous m’avez écrit une lettre charmante.

Je crois que l’auteur des Quatre Saisons[4] ne fera la pluie et le beau temps que dans un diocèse. Il a la rage d’être archevêque ; j’en suis bien fâché. Je lui dirais volontiers :


Nec tibi regnandi veniat tam dira cupido.

(Virg., Georg., I, 37.)

Au milieu de toute votre gaieté, tâchez toujours d’écraser l’inf… ; notre principale occupation dans cette vie doit être de combattre ce monstre. Je ne vous demande que cinq ou six bons mots par jour, cela suffit ; il n’en relèvera pas. Riez, Démocrite ; faites rire, et les sages triompheront. Si vous voyez frère Damilaville, il peut vous faire avoir le livre de Dumarsais, at-

  1. Censeur royal.
  2. À cette époque les gages de censeur ou commis à la douane de la pensée étaient de quatre cents francs par an. (B.)
  3. Voyez page 66.
  4. Bernis.