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flatté de son ressouvenir, et je serai reconnaissant toute ma vie de son digne et noble procédé. J’aurai à lui écrire dans quelques jours pour une affaire de son ministère, et qui mérite son attention. Il y a presque sous les fenêtres de mon château, au pays de Gex, un marais qui infecte le pays. Le village où ce marais prend naissance est désert ; il n’y reste plus qu’un habitant. Le reste est mort de la contagion, ou s’est réfugié ailleurs. Les bestiaux qui paissent auprès du marais meurent. La négligence amènera la peste. J’ai présenté des regrets au conseil, j’ai proposé de dessécher le marais à mes frais ; on a envoyé un commissaire sur les lieux. Rien ne s’est pu faire. J’enverrai à monsieur votre père les certificats des magistrats de la province. Il s’agit du bien public. Il faudra bien qu’il s’en mêle, et que la chose réussisse. Les faux dévots ne me trouveront-ils pas bien impie de vouloir changer le cours de la nature et de prévenir la peste ?

Le solitaire est tendrement attaché au pèlerin, V.


4355. — À M.  TRONCGHIN, DE LYON[1].
1er décembre.

Il faut que vous m’aidiez à faire une bonne œuvre. Mes bâtiments en souffriront ; mais il faut courir au plus pressé et au plus plaisant.

Voici ce plaisant. Les jésuites qui demeurent à Ornex, auprès de Ferney, ne doivent aimer que les biens célestes. Ils ne sont là que pour convertir des huguenots ; mais pour les convertir, il ne faut pas s’emparer de leur bien. Deux vieilles damnées, nommées Mlles  Baltazard, possédaient à Ornex un bien d’environ dix-huit mille livres de France. Les frères jésuites ont acquis saintement ce domaine en achetant à vil prix les dettes des créanciers, en payant six cents livres pour douze cents, et le reste en messes. J’ai déterré les héritiers véritables[2], pauvres gentilshommes se battant très-bien pour le roi, et n’ayant pas de quoi chasser les jésuites de leur héritage. Ils n’ont que de la poudre et leur épée ; cela ne suffit pas : il faut de l’argent ; c’est moi qui l’avance. Je crois bien que je déplairai à frère Berthier ; mais je crois que je ne vous déplairai pas, et que tous les honnêtes gens m’en sauront gré ; votre ville n’en sera pas fâchée. Que faire donc, mon cher ami ? L’impossible pour m’envoyer sur-le-champ

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. MM.  Desprez de Crassy.