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moi chez l’archevêque de Paris. Elle aura eu tous les honnêtes plaisirs mondains, et aura celui de faire son salut. Elle doit d’abord vous embrasser pour elle, comme de raison, et ensuite pour moi. Je me flatte que M. l’archevêque nous la renverra, dès que je ferai bâtir une église.

Voici les deux cartes qui manquaient à Pierre.

Je vous embrasse.

Voilà donc encore le roi de Prusse devant Dresde, et c’est à recommencer !


4331. — À M. LE COMTE DE TRESSAN.
À Ferney, 12 novembre.

Respectable et aimable gouverneur de la Lorraine allemande et de mes sentiments, mon cœur a bien des choses à vous dire ; mais permettez qu’une autre main que la mienne les écrive, parce que je suis un peu malingre.

Premièrement, ne convenez-vous pas qu’il vaut mieux être gouverneur de Bitche que de présider à une académie quelconque ? Ne convenez-vous pas aussi qu’il vaut mieux être honnête homme et aimable qu’hypocrite et insolent ? Ensuite n’êtes-vous pas de l’avis de l’Ecclésiaste[1], qui dit que tout est vanité, excepté de vivre gaiement avec ce qu’on aime ?

Je m’imagine, pour mon bonheur, que vous êtes très-heureux, et je crois que vous l’êtes de la manière dont il faut l’être dans ce temps-ci, loin des sots, des fripons, et des cabales. Vous ne trouverez peut-être pas à Bitche beaucoup de philosophes ; vous n’y aurez point de spectacles, vous y verrez peu de chaises de poste en cul de singe ; mais, en récompense, vous aurez tout le temps de cultiver votre beau génie, d’ajouter quelques connaissances de détail à vos profondes lumières ; vos amis viendront vous voir ; vous partagerez votre temps entre Lunéville, Bitche, et Toul. Et qui vous empêchera de faire venir auprès de vous des artistes et des gens de mérite qui contribueront aux agréments de votre vie ? Il me semble que vous êtes très-grand seigneur ; cinquante mille livres de rente à Bitche sont plus que cent cinquante mille à Paris. Je ne vous dirai pas que votre règne vous advienne[2], mais que les gens qui pensent viennent dans votre

  1. i, 2 ; et iii, 12.
  2. « Adecniat regnum tuum. » (Matthieu, chap. vi, vers. 10 ; Luc, chap. xi, vers. 2.)