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Une autre raison qui doit vous encourager, c’est qu’il est peut-être plus facile de discerner les excès du bien que de prononcer sur la nature du mal. Croyez-moi, monsieur le Spectateur, je ne saurais trop vous le dire, attachez-vous à réformer nos vertus ; les hommes tiennent trop à leurs vices.


4324. — À M. LE BRUN[1].
À Ferney, 5 novembre.

Je vous ferais, monsieur, attendre ma réponse quatre mois au moins, si je prétendais la faire en aussi beaux vers que les vôtres. Il faut me borner à vous dire en prose combien j’aime votre Ode et votre proposition. Il convient assez qu’un vieux soldat du grand Corneille tâche d’être utile à la petite-fille de son général. Quand on bâtit des châteaux et des églises, et qu’on a des parents pauvres à soutenir, il ne reste guère de quoi faire ce qu’on voudrait pour une personne qui ne doit être secourue que par les plus grands du royaume.

Je suis vieux ; j’ai une nièce qui aime tous les beaux-arts, et qui réussit dans quelques-uns : si la personne dont vous me parlez, et que vous connaissez sans doute, voulait accepter auprès de ma nièce l’éducation la plus honnête, elle en aurait soin comme de sa fille, je chercherais à lui servir de père ; le sien n’aurait absolument rien à dépenser pour elle ; on lui payerait son voyage jusqu’à Lyon. Elle serait adressée, à Lyon, à M. Tronchin[2] qui lui fournirait une voiture jusqu’à mon château, ou bien une femme irait la prendre dans mon équipage. Si cela convient, je suis à ses ordres, et j’espère avoir à vous remercier, jusqu’au dernier jour de ma vie, de m’avoir procuré

  1. Ponce-Denis Écouchard Le Brun, né à Paris en 1729, mort en 1807, avait adressé à Voltaire une Ode en faveur de la famille du grand Corneille. La personne que Le Brun recommandait à Voltaire ne descendait pas de P. Corneille, mais d’un de ses cousins (voyez la note, page 47). Le Brun fit imprimer son Ode avec des fragments de sa lettre d’envoi, la réponse de Voltaire, que voici, et une seconde lettre de Le Brun (voyez la note, tome XXIV, page 159). La lettre de Voltaire y est datée du cinq novembre ; cependant elle porte la date du cinq octobre dans l’édition des Œuvres de Le Brun donnée par Ginguené, mais mutilée par la censure impériale, 1811, quatre volumes in-8o. Il se peut que l’original porte octobre ; mais c’est sans doute par une erreur que Voltaire a commise quelquefois (voyez, entre autres, la lettre 1733, tome XXXVI, page 369), et que Le Brun aura corrigée à l’impression. La réponse de Le Brun à la lettre de Voltaire est du 12 novembre, et, comme le remarque M. Clogenson, dut être prompte.
  2. Tronchin, banquier à Lyon.