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point notre tripot. Je ne peux pas jouer la comédie avec une fluxion. Qu’est-ce donc que cette Belle Pénitente ? N’en a-t-on pas déjà joué une[1] ? Daignez me mander si c’est Mlle Clairon qui est pénitente. Pour moi, je suis bien pénitent de n’avoir pu faire de Tancrède une pièce absolument digne de vos bontés ; mais, pourvu qu’elle en mérite une partie, c’est assez pour un malingre ; votre indulgence fera le reste. Mille tendres respects.


4323. — À M. DE BASTIDE[2].

Je n’imagine pas, monsieur le Spectateur du monde, que vous projetiez de remplir vos feuilles du monde physique. Socrate, Épictète, et Marc-Aurèle, laissaient graviter toutes les sphères les unes sur les autres, pour ne s’occuper qu’à régler les mœurs. Est-ce donc le monde moral que vous prenez pour objet de vos spéculations ? Mais que lui voulez-vous, à ce monde moral que les précepteurs des nations ont déjà tant sermonné avec tant d’utilité ?

Il est un peu fâcheux pour la nature humaine, j’en conviens avec vous, que l’or fasse tout, et le mérite presque rien ; que les vrais travailleurs, derrière la scène, aient à peine une subsistance honnête, tandis que des personnages en titre fleurissent sur le théâtre ; que les sots soient aux nues, et les génies dans la fange ; qu’un père déshérite six enfants vertueux, pour combler de biens un premier-né qui souvent le déshonore ; qu’un malheureux, qui fait naufrage ou qui périt de quelque autre façon dans une terre étrangère, laisse au fisc de cet État la fortune de ses héritiers.

On a quelque peine à voir, je l’avoue encore, ceux qui labourent dans la disette, ceux qui ne produisent rien dans le luxe ; de grands propriétaires qui s’approprient jusqu’à l’oiseau qui vole, et au poisson qui nage ; des vassaux tremblants qui n’osent délivrer leurs maisons du sanglier qui les dévore ; des fanatiques qui voudraient brûler tous ceux qui ne prient pas Dieu comme eux ; des violences dans le pouvoir, qui enfantent

  1. La tragédie représentée, pour la première fois, le 27 avril 1750, au Théâtre-Français, sous le titre de Caliste, dix ans avant celle de Colardeau, est attribuée à différents auteurs, et, entre autres, au marquis de Thibouville. Aucun d’eux n’a daigné légitimer cet enfant bâtard et mort-né. (Cl.)
  2. Jean-François de Bastide, né à Marseille en 1724, mort à Milan en 1798, après avoir publié le Nouveau Spectateur, 1758, huit volumes in-12, en donna une suite qu’il intitula le Monde comme il est, 1760, deux volumes in-12. Il donna une nouvelle suite sous ce titre : le Monde, 1761, deux volumes in-12. (B.)