Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont souscrit pour autant d’exemplaires que le roi notre protecteur[1]. Cette entreprise est regardée par toute l’Europe comme très-honorable à notre nation et à l’Académie, et comme très-utile aux belles-lettres.

Le nom de Corneille, et l’attente où sont tous les étrangers de savoir ce qu’ils doivent admirer ou reprendre dans lui, serviront encore à étendre la langue française dans l’Europe.

L’Académie a paru confirmer tous mes jugements sur ce qui concerne la langue, et me laisse une liberté entière sur tout ce qui concerne le goût : c’est une liberté dont je ne dois user qu’en me conformant à ses sentiments, autant que je pourrai les bien connaître. Il est difficile de s’expliquer entièrement de si loin, et en si peu de temps.

Dans les premières esquisses que j’eus l’honneur d’envoyer, je remarque, dans la Mèdèe de Corneille, les enchantements qu’elle emploie sur le théâtre ; et comme mon Commentaire est historique aussi bien que critique, et que je compare les autres théâtres avec le nôtre, je dis[2] que « dans la tragédie de Macbeth, qu’on regarde comme un chef-d’œuvre de Shakespeare, trois sorcières font leurs enchantements sur le théâtre, etc. »

Ces trois sorcières arrivent, au milieu des éclairs et du tonnerre, avec un grand chaudron dans lequel elles font bouillir des herbes. Le chat a miaulé, trois fois, disent-elles, il est temps, il est temps ; elles jettent un crapaud dans le chaudron, et apostrophent le crapaud en criant en refrain : « Double, double, chaudron trouble ! que le feu brûle, que l’eau bouille, double, double ! » Cela vaut bien les serpents qui sont venus d’Afrique en un moment, et ces herbes que Médée a cueillies, le pied nu, en faisant pâlir la lune, et ce plumage noir d’une harpie, etc.

C’est à l’Opéra[3], c’est à ce spectacle consacré aux fables, que ces enchantements conviennent, et c’est là qu’ils ont été le mieux traités.

Voyez dans Quinault[4], supérieur en ce genre :


Esprits malheureux et jaloux,
Qui ne pouvez souffrir la vertu qu’avec peine ;
Vous, dont la fureur inhumaine

  1. Louis XV, protecteur de l’Académie française ; voyez page 54.
  2. Voyez tome XXXI, page 197.
  3. Cet alinéa et quelques-uns des suivants sont dans le Commentaire sur Corneille, tome XXXI, pages 197-198.
  4. Amadis, acte II, scène iii.