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nime que vous ayez ; et sur-le-champ vous aurez mon dernier mot.

Voudriez-vous avoir la charité de vous informer s’il est vrai qu’il y ait une Mlle  Corneille[1], petite-fille du grand Corneille, âgée de seize ans ? Elle est, dit-on, depuis quelques mois à l’abbaye de Saint-Antoine. Cette abbaye est assez riche pour entretenir noblement la nièce de Chimène et d’Émilie ; cependant on dit qu’elle est comme Lindane[2], qu’elle manque de tout, et qu’elle n’en dit mot. Comment pourriez-vous faire pour avoir des informations de ce fait, qui doit intéresser tous les imitateurs de son grand-père, bons ou mauvais ?

Je suis plus fâché que vous de donner l’Histoire de Pierre le Grand volume à volume, comme le Paysan parvenu[3] ; mais ce n’est pas ma faute, c’est celle de la cour de Pétersbourg, qui ne m’envoie pas ses archives aussi vite que je les mets en œuvre ; il

  1. Fontenelle, mort en 1757, avait partagé sa fortune entre quatre légataires, dont deux (Mme  de Marsilly et de Latour-du-Pin de Martainville) étaient petites-filles de Thomas Corneille. Ce testament fut attaqué par Jean-François Corneille et ses deux sœurs, qui avaient pour aïeul un Pierre Corneille, avocat à Rouen, et cousin de l’auteur tragique, et qui perdirent leur procès. Leurs adversaires leur donnèrent cependant quelques secours. Jean-François Corneille, qui, pendant cinq ans, n’eut d’autre ressource pour lui, sa femme, et leur fille, qu’une place de mouleur en bois à 24 francs par mois, se retrouva bientôt dans l’indigence. Il s’adressa, en prenant le titre de neveu du grand Corneille, aux comédiens français, qui donnèrent à son profit, le 10 mars 1760 (jour de la réception de Lefranc de Pompignan à l’Académie française), une représentation de Rodogune et des Bourgeoises de qualité. Le produit fut de six mille livres, avec lesquelles Jean-François Corneille éteignit quelques dettes, et paya les premiers mois de pension de sa fille à l’abbaye Saint-Antoine. Voltaire venait probablement de recevoir l’ode de Le Brun (voyez lettre 4324), lorsqu’il pria d’Argental de prendre des informations sur Mlle  Corneille. Marie-Françoise Corneille, fille de Jean-François, née le 22 avril 1742, avait alors dix-huit ans. Voltaire se chargea de son sort, la fit venir chez lui, où elle reçut de l’éducation, lui assura une rente, la dota richement, en la mariant, le 13 février 1763, à un gentilhomme de son voisinage, nommé Dupuits. La générosité de Voltaire lui attira quelques désagréments, comme on le verra. Les descendants de Thomas Corneille, qui avaient, après le gain de leur procès, fait peu de chose pour leurs parents, ne firent rien pour leur parente en 1760 ; loin de là, l’abbé de Latour-du-Pin alla jusqu’à solliciter une lettre de cachet pour faire enlever Mlle  Corneille de chez Voltaire (voyez la lettre à Damilaville, du 14 mais 1764).

    Jean-François Corneille avait, depuis le commencement de 1760, un emploi de 48 livres par mois. Chamousset lui procura, la même année, une commission dans les hôpitaux de l’armée, et, en 1761, une place de facteur de la petite poste de Paris, récemment établie. Plus tard, J.-F. Corneille eut un bureau de tabac à Évreux. Il était venu à Ferney en avril 1762. (B.)

  2. Personnage de l’Écossaise ; voyez tome V.
  3. La première édition de ce roman de Marivaux est de 1734, cinq volumes in-12.