Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fierait tout à la branche établie sur le trône dont ce malheureux prince fut privé. Il est clair que le terme de parricide, dont on s’est servi dans le jugement de ce prince, a dû révolter tous les lecteurs, parce que, dans aucun pays de l’Europe, on ne donne le nom de parricide qu’à celui qui a exécuté ou préparé effectivement le meurtre de son père. Nous ne donnons même le nom de révolté qu’à celui qui est en armes contre son souverain, et nous appelons la conduite du czarovitz désobéissance punissable, opiniâtreté scandaleuse, espérance chimérique dans quelques mécontents secrets qui pouvaient éclater un jour, volonté funeste de remettre les choses sur l’ancien pied quand il en serait le maître. On force, après quatre mois d’un procès criminel, ce malheureux prince à écrire que « s’il y avait eu des révoltés puissants qui se fussent soulevés, et qu’ils l’eussent appelé, il se serait mis à leur tête ».

Qui jamais a regardé une telle déclaration comme valable, comme une pièce réelle d’un procès ? qui jamais a jugé une pensée, une hypothèse, une supposition d’un cas qui n’est point arrivé ? où sont ces rebelles ? qui a pris les armes ? qui a proposé à ce prince de se mettre un jour à la tête des rebelles ? à qui en a-t-il parlé ? à qui a-t-il été confronté sur ce point important ? Voilà, monsieur, ce que tout le monde dit, et ce que vous ne pouvez vous empêcher de vous dire à vous-même. Je m’en rapporte à votre probité et à vos lumières. Ce que j’ai l’honneur de vous écrire est entre vous et moi : c’est à vous seul que je demande comment je dois me conduire dans un pas si délicat. Encore une fois, ne nous faisons point illusion. Je vais comparaître devant l’Europe en donnant cette histoire. Soyez très-convaincu, monsieur, qu’il n’y a pas un seul homme en Europe qui pense que le czarovitz soit mort naturellement. On lève les épaules quand on entend dire qu’un prince de vingt-trois ans est mort d’apoplexie à la lecture d’un arrêt qu’il devait espérer qu’on n’exécuterait pas. Aussi s’est-on bien donné de garde de m’envoyer aucun mémoire de Pétersbourg sur cette fatale aventure : on me renvoie au méprisable ouvrage d’un prétendu Nestesuranoy ; encore cet écrivain, aussi mercenaire que sot et grossier, ne peut dissimuler que toute l’Europe a cru Alexis empoisonné. Voyez donc, monsieur ; examinez avec votre prudence ordinaire et votre bonté pour moi, et avec le sentiment de ce qu’on doit à la vérité et aux bienséances, si j’ai marché avec quelque sûreté sur ces charbons ardents. Ce que j’ai eu l’honneur de vous envoyer n’est qu’une consultation, un mémoire de mes doutes, que je vous supplie de