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Il est triste d’être obligé de dire que l’acquéreur, manquant de bois de chauffage lorsqu’il acheta la terre de Tournay, eut, en présence de toute sa famille, parole de monsieur le président qu’il lui serait loisible de prendre douze moules de ces bois prétendus vendus, pour se chauffer : il en prit quatre ou cinq tout au plus.

Enfin, au bout de trois années, monsieur le président lui intente un procès au bailliage de Gex, sous le nom de Charles Baudy, son commissionnaire, pour payement de deux cent quatre-vingt et une livres de bois ; et voici comme il s’y prend.

Il assigne Charles Baudy, son commissionnaire, qu’il fait passer pour son marchand, et il dit, dans cette assignation du 2 juin, que Charles Baudy lui retient 281 livres parce qu’il a fourni à M. de Voltaire pour 281 livres de bois ; et Charles Baudy, au bas de cet exploit, assigne François de Voltaire.

Le défendeur ne veut, pour preuve de l’injustice qu’il essuie, que l’exploit même de monsieur le président. Il est clair, par l’assignation donnée par lui à Charles Baudy, que ce Charles Baudy compte avec lui de clerc à maître, comme toute la province le sait. Monsieur le président dit, dans son exploit, que Charles Baudy et lui firent un marché ensemble en l’année 1756. Est-ce ainsi qu’on s’explique sur un marché véritable ? N’exprime-t-on pas la date et le prix du marché ? Ladite assignation porte en général une certaine quantité d’arbres. Ne devait-on pas spécifier cette quantité[1] ? Ladite assignation porte que ces bois furent marqués. Mais s’ils avaient été marqués juridiquement, n’en saurait-on pas le nombre ? N’est-ce pas un garde-marteau qui devrait avoir marqué ces bois ? Peut-on les avoir marqués sans la permission du grand-maître des eaux et forêts ? On ne produit ni permission, ni marque de bois, ni acte passé avec ledit Baudy[2].

Il est donc clair comme le jour que monsieur le président n’a point fait de vente réelle, que par conséquent tous lesdits bois, injustement distraits du forestal sous prétexte d’une vente simulée, appartiennent légitimement à l’acquéreur de la terre.

Baudy en a vendu pour 4,800 livres : partant, François de Vol-

  1. Non, car cela ne touchait en rien le procès fait, à Voltaire. Avait-il ou non brûlé quatorze moules de bois livrés par Baudy ? C’était toute la question. (Note du premier éditeur.)
  2. Pour donner juridiquement copie de la vente de bois faite à Baudy, il eût fallu la faire contrôler, et par suite payer au fisc un double droit. Baudy certes n’y était nullement obligé. Il suffisait que la vente fût tenue pour constante par le vendeur et l’acheteur. Voltaire, étranger à cette convention, n’avait rien à y voir assurément. (Id.)