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vie, âgé de soixante-six ans, trente-cinq mille six cents livres, argent comptant, et douze mille francs en réparations à faire au château et à la terre en trois années de temps ; l’acquéreur fit, en trois mois, pour dix-huit mille livres de réparations, dont il a les quittances.

Il y a dans cette petite terre de Tournay un bois que monsieur le président lui donna pour un bois de cent arpents dans l’estimation de la terre. Les ingénieurs qui sont venus mesurer par ordre du roi toutes les terres de France ont trouvé que ce bois, mesuré géométriquement, ne contient pas quarante arpents, et l’acquéreur a entre les mains le plan des ingénieurs du roi.

Non-seulement l’acquéreur essuya ces pertes considérables, qui ruinent sa fortune, mais monsieur le président lui persuada, avant de lui faire signer le contrat, qu’il avait vendu en dernier lieu à un négociant de Genève une partie de sa forêt qui était abattue, et qu’il ne pouvait rompre ce marché. Il fut stipulé dans le contrat, passé au mois de novembre 1758, que M. de Voltaire aurait la jouissance entière de la terre de Tournay, et des bois qui sont sur pied et non vendus. L’acquéreur ne pouvant pas douter, sur la parole de monsieur le président, qu’il n’y eût une vente véritable, signa le contrat de sa ruine.

Ayant bientôt vu à quel excès il était lésé dans son marché, il s’en plaignit modestement à monsieur le président, et lui demanda par ses lettres pourquoi il avait vendu ces bois, qui devaient appartenir à l’acquéreur ; Monsieur le président lui répondit, par sa lettre du 12 janvier 1759 : « Il est vrai qu’on a mis un certain nombre de chênes au niveau des herbes pour certaines raisons à moi connues ; mais à quoi la faim de l’or ne contraint-elle pas les poitrines mortelles[1]. »

L’acquéreur fut bien surpris, quelque temps après, quand toute la province lui apprit que monsieur le président n’avait point du tout vendu ces bois. Il les faisait vendre, exploiter en détail, pour son compte par un paysan du village de Chambésy, nommé Charles Baudy, lequel Charles Baudy, son commissionnaire, compte avec lui de clerc à maître.

  1. Cette lettre est perdue, mais la date est remarquable. C’était un mois seulement après la vente à vie de Tournay : ce qui exclut manifestement tout soupçon d’une vente de bois inventée après coup en 1761. D’ailleurs les termes cités par Voltaire prouvent que non-seulement la vente, mais la coupe, étaient choses consommées au 12 janvier 1759. Or on avait vendu à Voltaire les bois qui étaient sur pied et non les bois abattus. Il en convenait lui-même tout à l’heure. (Note du premier éditeur.)