qu’il doit avoir. J’étais révolté, à l’âge de quinze ans, de voir Cinna persister avec Maxime dans son crime, et joindre la plus lâche fourberie à la plus horrible ingratitude. Les remords qu’il a ensuite ne paraissent point naturels, ils ne sont plus fondés, ils sont contradictoires avec cette atrocité réfléchie qu’il a étalée devant Maxime ; c’est un défaut capital que Metastasio a soigneusement évité dans sa Clémence de Titus. Il ne s’agit pas seulement de louer Corneille, il faut dire la vérité. Je la dirai à genoux, et l’encensoir à la main.
Il est vrai que, dans l’examen de Polyeucte, je me suis armé quelquefois de vessies de cochon au lieu d’encensoir. Laissez faire, ne songez qu’au fond des choses ; la forme sera tout autre. Ce n’est pas une petite besogne d’examiner trente-deux[1] pièces de théâtre, et de faire un Commentaire qui soit à la fois une grammaire et une poétique. Ainsi donc, messieurs, quand vous vous amuserez à parcourir mes esquisses, examinez-les comme s’il n’était pas question de Corneille ; souvenez-vous que les étrangers doivent apprendre la langue française dans ce livre. Quand j’aurai oublié une faute de langage, ne l’oubliez pas : c’est là l’objet principal. On apprend notre langue à Moscou, à Copenhague, à Bude, et à Lisbonne. On n’y fera point de tragédies françaises ; mais il est essentiel qu’on n’y prenne point des solécismes pour des beautés : vous instruirez l’Europe en vous amusant.
Vous serez, mon cher ami, colloqué pour deux ; mais si le roi, les princes et les fermiers généraux, qui ont souscrit, payent les Cramer, vous nous permettrez de présenter humblement le livre à tous les gens de lettres qui ne sont ni fermiers généraux ni rois. Vous verrez ce que j’écris sur cela, in mea epistola ad Olivetum Ciceronianum[2]. Adieu. Je suis absolument touché de l’intérêt que vous prenez à notre petite drôlerie.
Je suis harassé de fatigue ; je bâtis, je commente, je suis malade ; je vous embrasse de tout mon cœur.
Puisque vous aimez l’histoire, madame, je vous envoie cinq cahiers de la nouvelle édition de l’Essai sur les Mœurs, etc. Vous
- ↑ Voyez la note, page 431.
- ↑ La lettre du 20 auguste ; voyez n° 4645.
- ↑ Cette lettre n’est pas entière, si Voltaire ne se trompe pas dans les mots qu’il en cite (lettre à d’Argental du 26 octobre). (B.)