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théâtre. Vous vouliez me soulager ainsi d’une partie de mon fardeau, et j’y avais consenti, moins par paresse que par le désir de satisfaire plus tôt le public ; mais j’ai vu que dans la retraite j’avais plus de temps qu’on ne pense, et ayant déjà commenté toutes les pièces de Corneille qu’on représente, je me vois en état de faire quelques notes utiles sur les autres.

Il y a plusieurs anecdotes curieuses qu’il est agréable de savoir. Il y a plus d’une remarque à faire sur la langue. Je trouve, par exemple, plusieurs mots qui ont vieilli parmi nous, qui sont même entièrement oubliés, et dont nos voisins les Anglais se servent heureusement. Ils ont un terme pour signifier cette plaisanterie, ce vrai comique, cette gaieté, cette urbanité, ces saillies qui échappent à un homme sans qu’il s’en doute ; et ils rendent cette idée par le mot humeur, humour, qu’ils prononcent yumor ; et ils croient qu’ils ont seuls cette humeur ; que les autres nations n’ont point de terme pour exprimer ce caractère d’esprit. Cependant c’est un ancien mot de notre langue, employé en ce sens dans plusieurs comédies de Corneille. Au reste, quand je dis que cette humeur est une espèce d’urbanité, je parle à un homme instruit qui sait que nous avons appliqué mal à propos le mot d’urbanité à la politesse, et qu’urbanitas signifiait à Rome précisément ce qu’humour signifie chez les Anglais. C’est en ce sens qu’Horace dit[1] : Frontis ad urbanæ descendi præmia, et jamais ce mot n’est employé autrement dans cette satire que nous avons sous le nom de Pétrone, et que tant d’hommes sans goût ont prise pour l’ouvrage d’un consul Pétronius[2].

Le mot partie se trouve encore dans les comédies de Corneille pour esprit. Cet homme a des parties. C’est ce que les Anglais appellent parts. Ce terme était excellent : car c’est le propre de l’homme de n’avoir que des parties ; on a une sorte d’esprit, une sorte de talent, mais on ne les a pas tous. Le mot esprit est trop vague ; et quand on vous dit : Cet homme a de l’esprit, vous avez raison de demander du quel.

Que d’expressions nous manquent aujourd’hui, qui étaient énergiques du temps de Corneille ! et que de pertes nous avons faites, soit par pure négligence, soit par trop de délicatesse ! On

    raire que mes prédécesseurs, qui, en imprimant la Correspondance, ont substitué les a aux o que portent les autographes. L’hahitude ou, si l’on veut, la routine l’emportait sur les raisonnements allégués par Voltaire. (B.)

  1. Livre I, épître ix, vers 11.
  2. Voyez tome XXVII, page 261.