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parce qu’il est né à Lausanne ; mais moi, qui suis Français, j’en pousse de gros soupirs.

Votre très-humble frère vous salue toujours en Protagoras, en Lucrèce, en Épicure, en Épictète, en Marc-Antonin, et s’unit avec vous dans l’horreur que les petits faquins d’Omer doivent inspirer. Que les misérables Français considèrent qu’il n’y avait aucun janséniste ni moliniste dans les flottes anglaises qui nous ont battus dans les quatre parties du monde ; que les polissons de Paris sachent que M. Pitt n’aurait jamais arrêté l’impression de l’Encyclopédie ; qu’ils sachent que notre nation devient de jour en jour l’opprobre du genre humain.

Adieu, mes chers frères.

J’ai reçu la Poétique d’Aristote : je la renverrai incessamment. Avec ce livre-là, il est bien aisé de faire une tragédie détestable.


4615. — À M.  HELVÉTIUS.
22 juillet.

Mon cher philosophe, l’ombre et le sang de Corneille vous remercient de votre noble zèle. Le roi a daigné permettre que son nom fût à la tête des souscripteurs pour deux cents exemplaires. Ni maître Le Dain, ni maître Omer, ne suivront ni l’exemple du roi, ni le vôtre. Il y a l’infini entre les pédants orgueilleux et les cœurs nobles, entre des convulsionnaires et des esprits bien faits. Il y a des gens qui sont faits pour honorer la nation, et d’autres pour l’avilir. Que pensera la postérité quand elle verra d’un côté les belles scènes de Cinna, et de l’autre le discours de maître Le Dain, prononcé du côté du greffe[1] ? Je crois que les Français descendent des centaures, qui étaient moitié hommes et moitié chevaux de bât : ces deux moitiés se sont séparées ; il est resté des hommes, comme vous, par exemple, et quelques autres ; et il est resté des chevaux qui ont acheté des charges de conseiller, ou qui se sont faits docteurs de Sorbonne.

Rien ne presse pour les souscriptions de Corneille ; on donne son nom, et rien de plus ; et ceux qui auront dit : Je veux le livre, l’auront. On ne recevra pas une seule souscription d’un bigot ; qu’ils aillent souscrire pour les Méditations du révérend père Croizet[2].

  1. Voyez tome XXIV, page 239.
  2. C’est ainsi qu’on désigne quelquefois un ouvrage de J. Croiset (né vers le milieu du xviie siècle, mort en 1738), dont le vrai titre est : Retraite spirituelle pour un jour de chaque mois, avec des réflexions chrétiennes sur divers sujets de morale, 1710, quatre volumes in-12, souvent réimprimés.