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dit-il, et je ne veux pas même me donner la peine de l’entendre. — Pourquoi venez-vous donc si souvent dans cet auditoire ? — C’est que je prends plaisir à juger des coups. — Et comment en jugez-vous, sans savoir ce qu’on dit ? — C’est que j’ai un autre moyen de juger qui a raison. — Et comment ? — C’est que quand je vois à la mine d’un quelqu’un qu’il se fâche, et qu’il se met en colère, je juge que les raisons lui manquent, et qu’il a tort. »

Il me semble que cet artisan raisonnait juste, et je m’en tiens à son raisonnement dans plusieurs occasions. En faisant de même, vous répondrez par mille remerciements à tous vos persécuteurs. Le temps viendra que tout le monde pourra s’écrier sur votre compte :


Envy itself is dumb, in wonder lost,
And factions strive who shall applaud him most[1].


Je vais dans peu de jours me tranquilliser à la campagne. Le recueil de vos ouvrages est l’ami le plus fidèle, le plus gai, et le plus utile qui m’accompagne. En vous lisant, je répète sans cesse d’après M. Algarotti :


Felice te ! che la robusta prosa
Guidi del pari il numero sonante ;
Cui dell’attico mel nudrir le Muse,
E ingagliardir d’alto saper Minerva
Non mai di te minor, Roscio d’ogni arte.


Je vous souhaite de tout mon cœur long life, good health, ininterrupted peace, une longue vie, une bonne santé, et une paix non interrompue.


Albergati Capacelli.

4597. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
À Ferney, en Bourgogne, par Genève, 30 juin[2].

Mon entreprise, mon cher maître, m’attache de plus en plus au grand Corneille. Je l’aime autant que vous aimez Cicéron ; et plût à Dieu qu’il eût toujours parlé sa langue aussi purement, aussi noblement que Cicéron parlait la sienne ! Vous avez un grand avantage sur moi : Cicéron n’a point fait de mauvais ouvrages, Corneille en a trop fait, je ne dis pas d’indignes de lui, je dis absolument indignes du théâtre. Je suivrai donc votre sage conseil, je ne commenterai aucune de ses comédies, excepté le Menteur, ni aucune des tragédies qui n’ont pu rester au théâtre.

  1. « L’Envie même étonnée devient muette ; et les différents partis se défient à qui vous applaudira plus hautement. »
  2. Cette lettre, classée par Beuchot à l’année 1762, est de 1761.