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Suit comme toi la trace où marchaient ses aïeux.
Mais je ne puis souffrir qu’un fat, dont la mollesse
N’a rien pour s’appuyer qu’une vaine noblesse,
Se pare insolemment du mérite d’autrui,
Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.


Goldoni devait respecter même les travers des gens de condition, et se borner à un rang obscur et indifférent, qui lui aurait fourni d’insipides matières pour ses comédies.

Les Athéniens punissaient rigoureusement tout auteur comique dont la raillerie était générale et indiscrète. Ils voulaient qu’on nommât les personnes, quel que fût leur rang, et jugeaient inutile la correction que la comédie a pour but, dès qu’elle ne décelait la personne ridicule ou vicieuse par son propre nom. Quel embarras ne serait pas pour Aristophane, pour Ménandre, la délicatesse de nos jours ?


Ridendo dicere verum
Quid vetat[1] ?


M. Goldoni a répété tout cela plusieurs fois pour obtenir son pardon ; mais on ne l’en a pas jugé digne. Je me trouvai à la première représentation del Cavaliere e la Dama, qui est une de ses meilleures pièces ; vous en connaissez le prix, nous en connaissons tous la vérité ; et ce fut justement la vérité de l’action et des caractères qui souleva contre l’auteur ses premiers ennemis dans notre ville. On lui reprocha de s’être faufilé trop librement dans le sanctuaire de la galanterie, et d’en avoir dévoilé les mystères aux yeux profanes de la populace. Les chevaliers errants se piquèrent de défendre leurs belles : celles-ci les excitèrent à la vengeance par certaine rougeur de commande, fille apparente de la modestie, mais qui l’est réellement de la rage et du dépit.

Enfin, monsieur, on pourra jouer sur la scène, dans Pyrrhus, l’amour d’un roi qui manque à sa parole ; dans Sémiramis l’impiété d’une reine qui se porte à verser le sang de son époux pour régner à sa place ; dans Chimène, les amoureux transports d’une princesse pour le meurtrier de son père ; et tant d’autres monarques empoisonneurs, traîtres, tyrans, sans qu’il soit permis d’y exposer nos faiblesses.

Voilà le procès que l’on fait à Goldoni ; imaginez-vous quels en peuvent être les accusateurs. Il a fait le sourd ; il a continué son train ; et par là il a obtenu la réputation d’auteur admirable et de peintre de la nature, titres que vous-même lui avez confirmés. Mais revenons.

Je vous remercie de tout mon cœur des compliments que vous me faites sur mon penchant pour le théâtre, et sur le goût que j’ai pour la représentation ; mais cela a encore ses épines.

Je ris des discours de ces aristarques qui, d’un ton caustique et sévère, passent la journée à ne rien faire, et médisent charitablement de ce que les autres font. Le chant des cigales est ennuyeux ; mais il faudrait être bien

  1. Horace, livre I, satire i, vers 24-25.