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tuer à la hâte, si ces vers m’ont paru défectueux, c’est l’amour de l’art, et non l’amour-propre, qui s’est révolté en moi. Je n’ai pas senti avec moins de reconnaissance la nécessité de plusieurs changements, je n’en ai pas moins approuvé vos remarques, et plusieurs vers mis à la place des miens.

M. d’Argental sera-t-il encore longtemps à la campagne ? Il me paraît qu’en son absence vous commandez l’armée avec bien du succès. Je me flatte que vos troupes préviendront les irruptions des housards libraires. Quand jouera-t-on la Belle Pénitente[1] ? Mlle Clairon est-elle cette pénitente ? Elle seule peut faire réussir cette détestable pièce anglaise ; mais je me flatte que l’auteur qui s’abaisse à chercher des modèles chez les barbares se sera fort éloigné de son modèle. Si notre scène devient anglaise, nous sommes bien avilis ; nous ne sommes déjà que les traducteurs de leurs romans. N’avons-nous pas déjà baissé assez pavillon devant l’Angleterre ? C’est peu d’être vaincus, faut-il encore être copistes ? pauvre nation ! Madame, le cœur me saigne, mais il est à vous.


4300. — À M. THIERIOT.
19 octobre.

Voici, mon ami, une lettre de change de quatre Pierre[2] Robin-mouton. Je vous prie de donner un exemplaire de ma part au ferme et aimable Protagoras[3] ; et quand il aura lu mon Pierre, vous le lui ferez relier bien proprement. Faites des trois autres exemplaires ce qu’il vous plaira, et tâchez qu’aucun ne vous ennuie. Quand vous voudrez venir dans ma chaumière, nous vous voiturerons, puis vous hébergerons, chaufferons, blanchirons, raserons et égayerons.

L’intendant de Bourgogne vint dans mon trou, ces jours passés, avec le fils de l’avocat général, qui en a usé si cordialement avec nous ; il avait un cortège de proconsul. Le duc de Villars était chez moi ; nous allions jouer Fanime ou Mèdime (le nom n’y fait rien ; Fanime est plus sonore, à cause de l’alpha). Nous n’en mîmes pas plus grand pot au feu ; nous étions cinquante-deux à

  1. Caliste, tragédie imitée, par Colardeau, de celle que Nicolas Rowe, mort en 1718, donna sous le titre de the Fair Pénitent. La pièce française, dans laquelle Mlle Clairon remplit le principal rôle, fut représentée le 12 novembre 1760, et jouée dix fois.
  2. Quatre exomplaires du premier volume de l’Histoire de Pierre le Grand à prendre chez Robin, libraire au Palais-Hoyal.
  3. D’Alembert.