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4588. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC[1].
Aux Délices, 25 juin.

J’ai toujours l’air du plus grand paresseux du monde, monsieur, et vous savez que je ne le suis pas. Je n’ai pas réellement le temps d’écrire une lettre. Je suis surtout occupé actuellement à une édition des tragédies du grand Corneille, avec des remarques instructives sur la langue et sur l’art du théâtre ; c’est un surcroît de fardeau à tous ceux que je porte ; mais c’est un fardeau qui m’est cher. L’édition sera magnifique ; elle se fait par souscriptions, et le produit sera pour Mlle  Corneille et pour son père, seuls descendants de ce grand homme, qui n’ont que son nom pour héritage. On ne payera rien d’avance. L’Académie française prend un grand intérêt à cet ouvrage. Le roi sera probablement à la tête des souscripteurs, et je me flatte que vous me permettrez de mettre votre nom dans la liste. Il n’en coûtera que quarante livres pour chaque exemplaire. Prenez-vous-en à Cinna et à Rodogune, et à une nouvelle histoire très-longue des horreurs et des superstitions du genre humain, si, après un si long silence, je vous écris une si courte lettre. Je suis d’un mauvais commerce ; mais je vous suis tendrement attaché pour la vie.


4589. — À M.  LE PRÉSIDENT HÉNAULT.
25 juin.

Mon cher et respectable confrère, je crois qu’il s’agit de l’honneur de l’Académie et de la France. Il faut fixer la langue, que vingt mille brochures corrompent ; il faut imprimer, avec des notes utiles, les grands auteurs du siècle de Louis XIV, et qu’on sache à Pétersbourg et en Ukraine en quoi Corneille est grand, et en quoi il est défectueux. Vous encouragez cette entreprise, qui ne réussira pas si vous ne permettez que je vous consulte souvent. Je pense qu’il sera honorable pour la France de relever le nom de Corneille dans ses descendants. J’étais à Londres quand on apprit qu’il y avait une fille de Milton aveugle, vieille, et pauvre ; en un quart d’heure elle fut riche. La petite-fille d’un homme très-supérieur à Milton n’est, à la vérité, ni vieille ni aveugle, elle a même de très-beaux yeux, et ce ne sera

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.