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quand j’avais le bonheur de partager avec elle l’honneur d’être dans votre cour[1]. Nous sommes tous condamnés à cette funeste séparation qu’elle vient d’essuyer. Tout finit, et finit bien vite. Cette réflexion, que l’on fait si souvent, devrait bien porter les souverains à ne pas précipiter la fin de tant de milliers d’hommes. Mais il est dit qu’ils feront des malheureux et qu’ils le seront aussi : voilà leur destinée.

Vous êtes donc débarrassée de nous[2], madame ; voilà, je crois, sept ou huit mille de vos courtisans et de vos admirateurs hors de vos États. Ils doivent peut-être quelque argent à Votre Altesse sérénissiine, et l’on paye mieux en temps de paix qu’en temps de guerre.

Je ne sais comment elle a pu trouver, pendant tout ce remue-ménage, le temps de lire Tancrède. Cette pièce vaut mieux à la représentation qu’à la lecture ; cela faisait un beau spectacle de chevalerie. Mais à mon âge, un pauvre malade fait des vers qui sont aussi faibles que lui. Il y a une épître à la fin, dans laquelle Votre Altesse sérénissime m’aura trouvé plaisamment dévot ; mais c’est qu’il y a des gens qui sont bien sottement hypocrites, et d’autres furieusement fanatiques. Ce monde-ci est une guerre perpétuelle de prince à prince, de prêtre à prêtre, de peuple à peuple, de barbouilleur à barbouilleur de papier. Le seul papier que j’emploie bien est celui où je présente mon profond respect à Votre Altesse sérénissime.


Le Suisse V.

4497. — À M. DE CIDEVILLE.
Aux Délices, 26 mars.

Mon cher et ancien ami, nous sommes tous malades. Nous avons quitté Ferney pour revenir aux Délices, à portée des Tronchin. Mme Denis se fait saigner, et moi je cherche à faire diversion en vous écrivant. Si on saigne aussi la petite-nièce du grand Corneille, je demanderai que l’on mette quelques gouttes de son sang dans mes veines, si faire se peut, pour la première tragédie que je ferai.

M. de Chimène est le seul de la maison qui ait résisté à l’épidémie ; il s’était purgé par les Lettres sur Jean-Jacques. Voici un Rescrit de l’empereur de la Chine[3] sur la Paix perpétuelle que ce

  1. En 1753.
  2. De Broglie s’était replié sur Hanau et Francfort.
  3. Voyez tome XXIV, page 231.