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Je pense que ce qu’il y aurait de plus honnête, de plus doux, et de plus modéré à faire, ce serait d’assommer de coups de bâton le nommé Fréron à la porte de M.  Corneille. Le second parti est celui que j’ai eu l’honneur de vous proposer, c’est que vous vouliez bien dicter une requête à M.  Corneille pour le lieutenant criminel. N’est-il pas en droit d’attendre quelque attention pour son nom ? n’est-il pas en droit de dire qu’il demande réparation de l’insulte faite à sa fille et à lui ? On lui reproche, dans des lignes diffamatoires, d’avoir fait sortir sa fille du couvent pour la faire élever par un bateleur de la Foire. Il est faux que ce L’Écluse ait été bateleur ; il est, depuis vingt ans, chirurgien du roi de Pologne ; il est faux qu’elle soit élevée par lui ; il est faux qu’elle soit dans la maison où le calomniateur suppose qu’il est ; il est faux que le sieur L’Écluse soit même venu dans cette maison depuis plus de cinq mois. Mlle  Corneille est dans la maison la plus honnête et la plus réglée, auprès d’un vieillard presque septuagénaire, qui lui a assuré tout d’un coup de quoi être à l’abri de l’indigence le reste de sa vie ; elle est auprès d’une dame de cinquante ans, qui lui tient lieu de mère, et qui ne la perd pas un instant de vue. Un homme très-estimable, qui a servi de précepteur à Mme  la marquise de Tessé, veut bien à présent lui donner des leçons. Elle mérite tous les soins qu’on prend d’elle ; son cœur paraît digne de l’esprit de son grand-oncle, et je vous assure qu’on ne peut avoir une conduite plus noble et plus décente que la sienne.

Voilà, monsieur, l’éducation de bateleur qu’on lui donne. Le père du grand Corneille était noble ; Mlle  Corneille a près de deux cents ans de noblesse ; elle est alliée aux plus grandes maisons du royaume, et on la laisse outrager impunément dans des lignes diffamatoires d’un Fréron ; et des gens ont la bêtise de m’écrire que je dois mépriser les petits traits que Fréron a la bonté de me décocher, comme si c’était moi dont il s’agît dans cette affaire, comme si j’étais une jeune demoiselle à marier !

Ah ! monsieur, croyez que dans nos affaires les hommes nous conseillent fort mal, parce qu’ils ne se mettent jamais à notre place : il ne faut prendre de conseil que de soi-même, et des circonstances où l’on se trouve.

il n’est point du tout hors d’apparence qu’il se présente bientôt un parti pour Mlle  Corneille ; et je peux vous assurer que les feuilles de Fréron, qu’on lit dans les provinces, lui feront grand tort, et pourront empêcher son établissement. Je ne vous avance rien ici, monsieur, sans de très-justes raisons. Voyez donc s’il