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différente du sieur Girod ; il prétend que cette réquisition est d’une nécessité indispensable. Vous savez sans doute à présent, monsieur, que le sacrilège est joint à l’assassinat. Le jésuite Jean Fessy, aumônier du résident à Genève, a osé refuser l’absolution à la fille Decroze, jusqu’à ce qu’elle eût engagé son père à cesser toute poursuite, jusqu’à ce que la sœur eût trahi le sang de son frère, et le père le sang de son fils.

Mon avocat assure que, dans des cas pareils, on exige le serment de la fille et le serment du confesseur. Ces deux serments, quand ils sont contradictoires, ne décident rien ; mais les juges voient aisément de quel côté est le parjure. Il est même à croire que Fessy ne se parjurera pas, car je sais qu’il est persuadé par le curé de Moëns, et qu’il croit qu’il ne s’était rendu le 28 décembre au logis où soupait Decroze que pour prêcher la morale à coups de bâtons, selon ces paroles : Contrains-les d’entrer.

Il est donc indispensable que le jésuite Fessy soit mis en cause ; et pour ne vous point fatiguer, monsieur, je vous prie de renvoyer ma lettre à M.  Girod, avec une simple apostille de votre main, ou dictée par vous.

Tous les gentilshommes du pays sont dans l’indignation la plus violente, mais aucun ne secourt Decroze ; je suis son seul appui ; je lui prête de l’argent, comme j’en ai prêté à MM.  de Crassy, gentilshommes au service du roi, pour rentrer dans leur bien usurpé[1] par les jésuites ; mais je serai obligé d’abandonner Decroze, s’il n’a pas de courage, et s’il ne fait pas toutes les poursuites que doit faire un père qui a son fils à venger d’un monstre.

Au reste, monsieur, vous ne pouvez mieux placer votre protection et votre pitié que dans cette affaire, qui crie vengeance à Dieu et aux hommes.

J’ai l’honneur d’être, avec le plus respectueux attachement, monsieur, votre très-humble, etc.


Voltaire.
  1. Lisez acheté ; voyez la lettre à Helvétius du 2 janvier 1761. Ce bien avait été régulièrement vendu pendant la minorité de MM.  de Crassy pour éteindre une dette. Ils y rentrèrent sans résistance, en vertu du retrait lignager. (Note du premier éditeur.)