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4434. — DE M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
Janvier 1761[2].

Agréez, monsieur, que je vous demande l’explication d’une chose tout à fait singulière que je trouve dans le compte de mes affaires, que l’on vient de m’envoyer du pays de Gex, pour les années 1759 et 1760. C’est à l’article des payements qu’a faits le nommé Charlot Baudy, d’une coupe de bois que je lui avais vendue avant notre traité. Il me porte en compte et en payement quatorze moules de bois vendus à M. de Voltaire, à trois patagons le moule ». Et comme il pourrait paraître fort extraordinaire que je payasse le bois de la fourniture de votre maison, il ajoute pour explication qu’ayant été vous demander le payement de sa livraison, vous l’aviez refusé en affirmant que je vous avais fait don de ce bois. Je vous demande excuse si je vous répète un tel propos : car vous sentez bien que je suis fort éloigné de croire que vous l’ayez tenu, et je n’y ajoute pas la moindre foi. Je ne prends ceci que pour le discours d’un homme rustique fait pour ignorer les usages du monde et les convenances ; qui ne sait pas qu’on envoie bien à son ami et son voisin un panier de pèches ou une demi-douzaine de gélinotes, mais que si on s’avisait de lui faire la galanterie de quatorze moules de bois ou de six chars de foin, il le prendrait pour une absurdité contraire aux bienséances, et il le trouverait fort mauvais.

Le fait, dont je me souviens très-nettement, est que, me parlant en conversation de la rareté du bois dans le pays et de la peine que vous aviez à en avoir pour votre ménage, j’eus l’honneur de vous répondre que vous en trouveriez aisément sur place, vers Charlot, de Chambésy, qui vendait actuellement ceux qu’il avait eus de ma coupe, et que, si vous vouliez, je lui dirais de vous en fournir ; à quoi vous me répliquâtes que je vous ferais grand plaisir. Quelque temps après, nous rencontrâmes cet homme, à qui je dis de vous mener les bois de chauffage dont vous aviez besoin ; vous lui ajoutâtes même de vous en mener deux ou trois voitures dès le lendemain, parce que vous en manquiez. Voilà toute la part que j’ai à ceci ; et je vous offenserais sans doute si je m’avisais d’y avoir celle de payer la commission. J’espère que vous voudrez faire incontinent payer cette bagatelle à Charlot, parce que, comme je me ferai certainement payer de lui, il aurait infailliblement aussi son recours contre vous, ce qui ferait une affaire du genre de celles qu’un homme tel que vous ne veut point avoir.

J’ai l’honneur d’être, avec l’attachement infini que je vous ai voué, monsieur, etc.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Il parait qu’il y eut une interruption de six mois dans la correspondance, la lettre du 16 Juillet 1760 étant restée sans réponse. (Note du premier éditeur.)