Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On sait assez quel est le malheureux qui a voulu gagner quelque argent en imprimant, sous le titre de la Pucelle d’Orléans, un ouvrage abominable ; on le reconnaît assez aux noms de Luther et de Calvin, dont il parle sans cesse, et qui certainement ne devaient pas être placés sous le règne de Charles VII. On sait que c’est un calviniste[1] du Languedoc, qui a falsifié les Lettres de Mme de Maintenon ; qui l’outrage indignement dans sa rapsodie de la Pucelle ; qui a inséré dans cette infamie des vers contre les personnes les plus respectables, et contre le roi même ; qui a été deux fois en prison à Paris pour de pareilles horreurs, et qui est aujourd’hui exilé. Les hommes qui se distinguent dans les arts n’ont presque jamais que de tels ennemis.

Quant à quelques messieurs qui, sans être chrétiens, inondent le public, depuis quelques années, de satires chrétiennes ; qui nuiraient, s’il était possible, à notre religion, par les ridicules appuis qu’ils osent prêter à cet édifice inébranlable ; enfin, qui la déshonorent par leurs impostures ; si on faisait jamais quelque attention aux libelles de ces nouveaux Garasses, on pourrait leur faire voir qu’on est aussi ignorant qu’eux, mais beaucoup meilleur chrétien qu’eux.

C’est une plaisante idée qui a passé par la tête de quelques barbouilleurs de notre siècle, de crier sans cesse que tous ceux qui ont quelque esprit[2] ne sont pas chrétiens ! pensent-ils rendre en cela un grand service à notre religion ? Quoi ! la saine doctrine, c’est-à-dire la doctrine apostolique et romaine, ne serait-elle, selon eux, que le partage des sots ? Sans penser être quelque chose[3], je ne pense pas être un sot ; mais il me semble que si je

    Au diable soit, dit-il, la sotte aiguille !
    Bientôt le diable emporte l’étui neuf.
    .
    En ce moment, on un seul haut-le-corps,
    Il met à bas la belle créature ;
    Il la subjugue, et, d’un rein vigoureux,
    Il fait jouer le bélier monstrueux.

    Il y mille autre vers plus infâmes, et plus encore dans le style de la plus vile canaille, et que l’honnêteté ne permet pas de rapporter. C’est là ce qu’un misérable ose imputer à l’auteur de la Henriade, de Mérope et d’Alzire. (Note de Voltaire.)

  1. La Beaumelle. (K.)
  2. Jean-George Lefranc de Pompignan avait publié, en 1754, la Dévotion réconciliée avec l’esprit ; mais d’Alembert et Voltaire, convaincus de l’extrême différence qu’il y a entre la dévotion et la religion, disaient que c’était la Réconciliation normande, en faisant allusion au titre d’une comédie de Dufrény. (Cl.)
  3. Voyez page 87.