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ce métier, il y aura des Frérons qui décrieront les beaux-arts et les bons artistes.

L’envie veut mordre, l’intérêt veut gagner : c’est là ce qui excita tant d’orages contre le Tasse, contre le Guarini, en Italie ; contre Dryden et contre Pope, en Angleterre ; contre Corneille, Racine, Molière, Quinault, en France. Que n’a point essuyé, de nos jours, votre célèbre Goldoni ! Et, si vous remontez aux Romains et aux Grecs, voyez les Prologues de Térence, dans lesquels il apprend à la postérité que les hommes de son temps étaient faits comme ceux du nôtre ; tutto’l mondo è fatto come la nostra famiglia. Mais remarquez, monsieur, pour la consolation des grands artistes, que les persécuteurs sont assurés du mépris et de l’horreur du genre humain, et que les bons ouvrages demeurent. Où sont les écrits des ennemis de Térence, et les feuilles des Bavius qui insultèrent Virgile ? Où sont les impertinences des rivaux du Tasse et des rivaux de Corneille et de Molière ?

Qu’on est heureux, monsieur, de ne point voir toutes ces misères, toutes ces indignités, et de cultiver en paix les arts d’Apollon, loin des Marsyas et des Midas ! Qu’il est doux de lire Virgile et Homère en foulant à ses pieds les Bavius et les Zoïle, et de se nourrir d’ambroisie, quand l’envie mange des couleuvres !

Despréaux disait autrefois, en parlant de la rage des cabales :


Qui méprise Colin n’estime point son roi,
Et n’a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

(Sat. ix, v. 305.)

Le grand Corneille, c’est-à-dire le premier homme par qui la France littéraire commença à être estimée en Europe, fut obligé de répondre ainsi à ses ennemis littéraires (car les auteurs n’en ont point d’autres) : « Je déclare que je soumets tous mes écrits au jugement de l’Église ; je doute fort qu’ils en fassent autant[1]. »

Je prends la liberté de dire ici la même chose que le grand Corneille, et il m’est agréable de le dire à un sénateur de la seconde ville de l’État du saint-père ; il est doux encore de le dire dans des terres aussi voisines des hérétiques que les miennes. Plus je suis rempli de charité pour leurs personnes et d’indul-

  1. « Je me contenterai de dire que je soumets tout ce que j’ai fait et ferai à l’avenir à la censure des puissances tant ecclésiastiques que séculières, etc… Je ne sais s’ils (les ennemis du théâtre) en voudraient faire autant. » (Avis au lecteur, en tête d’Attila).