Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


que j’ai eu l’honneur de vous adresser, et j’en suis très en peine. Je vous prie très-instamment de me tirer de cette inquiétude. Les rogatons[1] que j’avais trouvés sous ma main, pour vous amuser ou pour vous ennuyer un quart d’heure, sont des misères, je le sais bien ; mais je serais affligé qu’elles eussent passé dans d’autres mains que les vôtres.

Comment vous amusez-vous, madame ? que faites-vous de ces journées qui paraissent quelquefois si longues dans une vie si courte ? Comment le président[2] s’accommode-t-il d’être septuagénaire ? Pour moi, qui touche à ce bel âge de la maturité, je me trouve très-bien d’avoir à gouverner les dix-sept ans de Mlle Corneille. Elle est gaie, vive, et douce, l’esprit tout naturel ; c’est ce qui fait apparemment que Fontenelle l’a si mal traitée.

Je lui apprends l’orthographe, mais je n’en ferai point une savante ; je veux qu’elle apprenne à vivre dans le monde, et à y être heureuse.

Je vous souhaite les bonnes fêtes, madame, comme disent les Italiens mes voisins. Cependant vous ne sauriez croire combien il y a de gens, en Italie[3] qui se moquent des fêtes. Mon Dieu, que le monde est devenu méchant ! C’est la faute de ces maudits philosophes.


4384. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
22 décembre.

Comment vont les yeux de mon cher et respectable ami, de mon divin ange ? n’importuné-je point un peu trop mes deux chevaliers ? Plût à Dieu que les chevaliers de Tancrède fussent aussi preux que vous ! Mais il faut que je vous dise qu’on a joué à Dijon, à la Rochelle, à Bordeaux, à Marseille, la Femme qui a raison. Si l’ami Fréron m’a ôté les suffrages de Paris, je suis devenu un bon poëte en province. Pourquoi, après tout, ne souffrirait-on pas la Femme qui a raison dans la capitale ? n’y aime-t-on pas un peu à se réjouir ? n’y veut-on que des tombeaux, des chambres tendues de noir, et des échafauds ?

    dès qu’il fut libre, il vomit des injures contre Le Brun et Voltaire, au sujet de Mlle Corneille. (Cl.)

  1. Voyez plus haut le second alinéa de la lettre 4365.
  2. Hénault, qui était alors dans sa soixante-seizième année.
  3. Ceci rappelle le proverbe italien :

    Roma veduta,
    Fede perduta.