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Dans les grandes agitations où je vais entrer, je n’aurai pas le temps de savoir si on fait des libelles contre moi en Europe, et si on me déchire. Ce que je saurai toujours, et dont je serai témoin, c’est que mes ennemis font bien des efforts pour m’accabler. Je ne sais pas si cela en vaut la peine. Je vous souhaite la tranquillité et le repos dont je ne jouirai pas tant que l’acharnement de l’Europe me persécutera. Adieu.


Fédéric.

N. B. Vous m’avez tant parlé du médecin Tronchin que je vous prie de le consulter sur la santé de mon frère Ferdinand[1], qui est très-mauvaise. Dans le courant de l’année passée il a eu deux fièvres chaudes dont il lui est resté de grandes faiblesses. À cela se sont joints les symptômes d’une sueur de nuit et d’une toux avec expectoration. Les médecins jusqu’ici croient qu’il crache une vomique ; et pour moi, qui ai tant vu de maladies pareilles funestes à tous ceux qui en ont été attaqués, je crains beaucoup pour sa vie : non pas les effets d’une mort prochaine, mais d’un accablement qui le conduira au tombeau à la chute des feuilles. Je crois ne devoir rien négliger pour les secours que l’art peut fournir, quoique j’aie très-peu de confiance en tous les médecins.

Je vous prie de consulter Tronchin pour savoir ce qu’il en pense, et s’il croit pouvoir le sauver. Je dois ajouter à ceci, pour le médecin, que les urines sont fort rouges et fort colorées, que l’expectoration sent mauvais, que la faiblesse est grande, l’abattement considérable, qu’il y a tous les symptômes d’une fièvre lente, qui cependant ne parait point le jour, pendant lequel le pouls est faible. Je souhaite qu’il en ait meilleure espérance que moi.


3809. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[2].
Château de Tournay, 22 mars 1759.

Sire, je vous le redirai jusqu’à la mort, content ou mécontent de Votre Majesté, vous êtes le plus rare homme que la nature ait jamais formé. Vous pleurez d’un œil, et vous riez de l’autre ; vous donnez des batailles, vous faites des élégies ; vous enseignez les peuples et les rois, vous faites en noble satirique le procès à la satire ; et enfin, en faisant marcher cent soixante mille hommes, vous donnez l’immortalité à Jacques-Matthieu Reinhart[3] maître cordonnier. On croirait d’abord, sur le titre de cette oraison funèbre, que votre ouvrage ne va pas à la cheville du pied ; mais quand on le lit avec un peu de réflexion, on

  1. Ferdinand, ou Auguste-Ferdinand, né le 23 mai 1730.
  2. Der Freymuthige ; Berlin, 1803, page 150.
  3. Panégyrique du sieur Jacques-Matthieu Reinhart ; voyez la note 3 de la page 74.