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deux cent mille hommes. On commence déjà à rougir la terre avant qu’elle soit verte : cela est infernal. Les jésuites sont plus infernaux encore, s’ils sont en effet convaincus d’avoir trempé dans le parricide du roi de Portugal. On ne leur jette encore à Paris que des oranges de Portugal à la tête ; mais si le crime est avéré, on leur jettera de grosses pierres.

Adieu, mon cher donneur de roses. Mille respects à Mme  de Ruffey et aux roses de son teint.

Senza cérémonie.


3797. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
À Tournay, par Genève, 4 mars.

Monsieur, je reçois en même temps une lettre de vous et une autre[1] des Grandes-Indes, datées du même mois. Le courrier qui m’a rendu celle dont Votre Excellence m’honore n’a pas, à ce que je crois, des ailes aux talons comme Mercure, ou bien apparemment quelque partisan prussien lui aura coupé ces ailes dans la route. Vous me coupez furieusement les miennes, monsieur, en me privant des mémoires que vous aviez eu la bonté de me promettre sur les exploits militaires du czar Pierre, sur ses lois, sur sa vie privée, et encore plus sur sa vie publique. J’ai tout au plus de quoi composer un recueil très-sec de dates et d’événements ; mais je suis très-loin d’avoir les matériaux d’une histoire intéressante. Je ne puis plus imaginer, monsieur, que vous ayez abandonné un projet si noble et si digne de vous, projet dont tout l’empire doit désirer l’exécution, et auquel je présume que votre souveraine s’intéresse. Je suis très-sensible à votre thé de la Chine ; mais je vous avoue que des instructions sur le règne de Pierre le Grand me seraient infiniment plus précieuses. Mon âge avance ; je ferai mettre sur mon tombeau : Ci-git qui voulait écrire l’Histoire de Pierre le Grand. Je ne doute pas, monsieur, que Votre Excellence n’ait d’autres occupations qui emportent la plus grande partie de son temps ; mais, s’il vous en reste, songez, monsieur, que c’est moi qui vous conjure aujourd’hui de ne pas oublier le héros sans les soins duquel vous ne seriez peut-être pas aujourd’hui un des génies les plus cultivés et les plus aimables de l’Europe. Votre esprit s’est embelli de toutes les sciences que ce grand homme a fait naître. La nature a beaucoup

  1. Cette autre lettre était sans doute de Maurice Pilavoine.