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de charité[1] de Lausanne. Tout cela est vrai ; je vous ouvre toujours mon cœur, parce que la franchise de l’amitié permet tout. Si j’ai ajouté quelque sottise, avertissez-moi ; un ami doit avertir son ami.

J’ai mandé à M.  le bailli de Lausanne que « je me mettais sous la protection d’un brave officier comme lui, et que le parti de Grasset avait beau faire demi-tour à gauche, je ne craignais rien de ses manœuvres, avec un commandant comme lui ». Il me semble encore que cette lettre est agréable et doit plaire ; il m’a répondu avec sa bonté ordinaire. Je suis très-content ; je n’imagine pas pourquoi on me mande qu’on ne l’est point. Je n’en crois rien ; je n’en veux rien croire. Périssent les tracasseries ! Conservez-moi, vous et votre chère philosophe, une amitié dont j’ai toujours senti le prix et chéri les douceurs. V.

L’exécution des jésuites ne se confirme pas ; on ne fait que mentir d’un bout de l’univers à l’autre.


3792. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[2].
Aux Délices, près de Genève, février 1759.

Il y a longtemps que je vous dis que vous êtes l’homme le plus extraordinaire qui ait jamais été. Avoir l’Europe sur les bras, et faire les vers que Votre Majesté m’envoie, est assurément une chose unique. Moi, que j’en fasse après les vôtres ! Vous vous moquez d’un pauvre vieillard. Il n’y a qu’un frère et qu’un héros capable d’un tel ouvrage ; je ne suis ni l’un ni l’autre. Vous en savez trop pour ne pas savoir que tout sentiment est fade en comparaison de l’enthousiasme de la nature. La place où l’on est dans ce monde ajoute encore beaucoup au sublime, et quand le cœur s’exprime dans un homme de votre rang, il faut être fou pour oser parler après lui. N’insultez point, s’il vous plaît, à la misère de l’imagination paralytique d’un homme de soixante et cinq ans, environné des neiges des Alpes, et devenu plus froid qu’elles. Tout ce qu’il y aurait à faire pour l’édification du genre humain, ce serait de faire imprimer les tendres et sublimes vers qui seront à jamais le plus beau mausolée que vous puissiez élever à votre digne sœur ; mais je me donnerai bien de garde d’en lâcher seulement une copie sans la permission expresse de Votre Majesté. Vos victoires, votre célérité à la façon de César, vos

  1. Voyez plus haut la lettre 3778.
  2. Der Freymuthige ; Berlin, 1803, page 149.