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4244. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Aux Délices, 5 septembre.

Je suis dans mon lit depuis quinze jours, monsieur. Vieillesse et maladie sont deux fort sottes choses pour un homme qui aime comme moi le travail et le plaisir. Il est vrai que pour du plaisir, vous venez de m’en donner par votre traduction, et par votre bonne réponse à ce Ça… ; mais je ne vous en donnerai guère, et j’ai bien peur que la tragédie des chevaliers[1] errants ne vous ennuie. Ce qui n’est point ennuyeux, c’est votre traduction de Phèdre ; c’est le plus grand honneur qu’ait jamais reçu Racine.

Je remercie tendrement l’enfant de la nature, Goldoni ; je remercie le signor Paradisi ; mais c’est vous surtout, monsieur, que je remercie. Algarotti a donc quitté Machiavel[2] pour faire l’amour ? Il passe son temps entre les Muses et les dames, et fait fort bien. Si le cher Goldoni m’honore d’une de ses pièces, il me rendra la santé : il faut qu’il fasse cette bonne œuvre. Je fais répéter Alzire autour de mon lit, et nous allons ouvrir notre théâtre dès que je serai debout. Nous n’avons pas de sénateurs genevois qui jouent la comédie. Les pédants de Calvin n’approchent pas des sénateurs de Bologne ; je n’ai pu corrompre[3] encore que la jeunesse ; je civilise autant que je peux les Allobroges. Les Genevois, avant que je fusse leur voisin, n’avaient pour divertissement que de mauvais sermons. Ils ne sont point nés pour les beaux-arts comme messieurs de Bologne. Vous avez le génie et les saucissons ; mais mes chers Genevois n’ont rien de tout cela.

Adieu, monsieur ; je vous aime comme si je vous avais vu et entendu.

Recevez les respects de l’ermite V.

  1. Tancrède, traduit en italien l’année suivante par le comte Augustin Paradisi, nommé dans cette lettre ; et plus tard par Claudio Zucchi.
  2. Allusion à la Science militaire du Secrétaire florentin, ouvrage d’Algarotti.
  3. Allusion à un passage de la lettre de J.-J. Rousseau ; voyez page 423.