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primé furtivement malgré les lois. Une balle que Grasset avait envoyée à Genève y a été saisie par ordre du magistrat ; on en a usé de même à Lyon, et le lieutenant civil de Paris a averti le nommé Tilliard, correspondant de Grasset, qu’il serait puni s’il en recevait, et s’il en débitait un seul exemplaire. Ce concert unanime de tant de magistrats pour supprimer un libelle diffamatoire ne me laisse pas douter que je n’aie la même obligation aux seigneurs curateurs ; et de toutes les bontés dont on m’honore en tant d’endroits, les leurs me seront les plus sensibles. Darnay joue un bien indigne rôle dans cette affaire. Comment s’est-il associé avec un laquais des Cramer, décrété de prise de corps, à Genève, pour avoir volé ses maîtres ?

Tout ceci n’est qu’une tracasserie infâme ; mais que dire des jésuites ! Ils assassinent le roi qu’ils ont confessé ; ils font servir tous les mystères de la religion au plus grand des crimes. Nous verrons quelles suites aura cette étrange aventure. Je vous remercie et vous embrasse tendrement. V.


3787. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Au château de Tournay, par Genève, 21 février.

Madame, la nature nous fait payer bien cher la faveur qu’elle nous fait de changer l’hiver en printemps : Votre Altesse sérénissime a été malade, et la princesse sa fille a été attaquée de la petite vérole. Ce qui est encore très-cruel, c’est qu’on est un mois entier dans la crainte avant de recevoir une nouvelle consolante. Vous daignez, madame, me mander, du 10 février, que j’ai à trembler pour votre santé et pour celle de la princesse ; mais quand daignerez-vous rassurer le cœur qui est le plus sensible à vos bontés, et le plus attaché à votre bien-être ? Quand apprendrai-je que la petite vérole a respecté la vie et la beauté d’une princesse née pour vous ressembler, et que Votre Altesse sérénissime a recouvré cette belle santé que je lui ai connue, cet air de fraîcheur et de félicité qui l’embellissait encore ?

Pour la félicité, madame, il y faut renoncer jusqu’à la paix. J’apprends, et Dieu veuille qu’on me trompe, qu’on foule encore vos États, et qu’on exige des fournitures pour aller faire ailleurs des malheureux. Il faut avouer que les princes chrétiens et les peuples de cette partie de l’Europe sont bien à plaindre ; on met en

  1. Éditeurs, Bavoux et François.