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quelque tragédie, venez la faire chez nous ; c’est avec ses frères qu’il faut réciter son office.

Je vous embrasse de tout mon cœur.


4227. — À M. D’ALEMBERT.
À Ferney, 13 auguste.

Vous êtes assurément, mon divin Protagoras, un des plus salés philosophes que je connaisse ; vous devriez bien honorer de quelques pincées de votre sel cette troupe de polissons hypocrites qui veut tantôt être sérieuse et tantôt plaisante, et qui n’est jamais que ridicule. Si on ne peut avoir l’aréopage de son côté, il faut avoir les rieurs, et il me paraît qu’ils sont pour nous.

Sans doute il faut se réunir avec Duclos, et même avec Mairan, quoiqu’il se soit plaint quelquefois amèrement d’être contrefait par vous en perfection ; il faut qu’on puisse couvrir tous les philosophes d’un manteau ; marchez, je vous en conjure, en bataillon serré. Je suis enivré de l’idée de mettre Diderot à l’Académie ; ou je me trompe, ou vous avez une belle ouverture. L’Académie travaille à son Dictionnaire, et y fait entrer tous les termes des arts. On dira au roi qu’on ne peut achever ce dictionnaire sans Diderot : cela pourra exciter une petite guerre civile, et, à votre avis, la guerre civile n’est-elle pas fort amusante ? Après avoir fait entrer Diderot, je prétends qu’on fasse entrer l’abbé Mords-les[1]. Il ne se passait pas de jour de poste que je n’écrivisse pour cet abbé, que je n’ai pas l’honneur de connaître ; mais j’aime passionnément mes frères en Belzébuth, Je crois, entre nous, que M. d’Argental a fait déterminer le temps de sa captivité en Babylone, et qu’il a beaucoup plus servi que Jean-Jacques à délivrer notre frère.

J’ai lu mon Commercium epistolicum[2], que Charles Palissot a fait imprimer. Je ne sais pas si un bon chrétien comme lui, qui se respecte et qui observe toutes les bienséances, est en droit d’imprimer les lettres qu’on lui écrit. Il a poussé la délicatesse jusqu’à altérer le texte[3] en plusieurs endroits ; mais il en reste

  1. Morellet ne fut reçu à l’Académie qu’en 1785.
  2. C’est une brochure intitulée Lettres de M. de Voltaire à M. Palissot, avec les réponses, à l’occasion de la comédie des Philosophes. Genève (Paris), 1760, in-12 de 68 pages, contenant un extrait d’une lettre de Palissot du 28 mai, la lettre de Voltaire du 4 juin, la réponse de Palissot du 17 juin, celle de Voltaire (du 23), la lettre de Palissot du 7 juillet, un extrait de celle de Voltaire du 12, et une lettre de Palissot à un journaliste.
  3. Palissot avait manqué aux bienséances en imprimant les lettres de Voltaire