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gens bouffis de vanité et de sottise peuvent compter sur ces paroles sacramentales :


Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.

(Racine, Iphigénie, acte III, scène vii.)

Adieu, vivez heureux ; et, tandis que vous faites tous vos efforts pour détruire la Prusse, pensez que personne ne l’a jamais moins mérité que moi, ni de vous, ni de vos Français.


4076. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Paris, 24 mars 1760.

Ce que vous appelez vos rogatons, monsieur, m’ont fait un grand plaisir ; vous devriez bien m’envoyer des articles du dictionnaire de vos idées, cela serait délicieux, et c’est cela qui me ferait penser. Vous devriez bien aussi un peu plus répondre aux questions que je vous fais ; mais vous ne me croyez pas digne de votre confiance, et vous avez tort ; il n’y a peut-être personne au monde, pas même votre ami d’Argental, qui soit plus votre prosélyte que moi ; jugez, moyennant cela, l’estime que j’ai pour MM. de Pompignan. Je n’ai point lu le discours de l’Académie, je n’ai pu m’y résoudre ; il suffit de l’ennui qu’on ne peut éviter, il est fou d’en aller chercher.

On nous donne des tragédies, des romans abominables, et qui ne laissent pas d’avoir des admirateurs ; le goût est perdu. J’aurais une grande joie de vous revoir, et j’aurais le courage de vous aller chercher si je n’étais pas condamnée, par le malheur de mon état, à une vie sédentaire. Je ne suis à mon aise que dans les lieux que je connais : j’ai un très-joli logement, fort commode ; je ne sors que pour souper, je ne découche jamais, et je ne fais point de visites. Ma société n’est pas nombreuse, mais je suis persuadée qu’elle vous plairait, et que si vous étiez ici vous en feriez la vôtre. J’ai vu pendant quelque temps plusieurs savants et gens de lettres ; je n’ai pas trouvé leur commerce délicieux. J’irais volontiers aux spectacles s’ils étaient bons, mais ils sont devenus abominables ; l’Opéra est indigne, et la Comédie ne vaut guère mieux ; elle est fort peu au-dessus d’une troupe bourgeoise, et le jeu naturel que M. Diderot a prêché a produit le bon effet de faire jouer Agrippine avec le ton d’une harengère. Ni Mlle Clairon, ni M. Lekain, ne sont de vrais acteurs : ils jouent tous d’après leur naturel et leur état, et non pas d’après celui du personnage qu’ils représentent. Le comique vaut mieux : Mlle Dangeville est excellente, et Préville charmant, quoiqu’un peu uniforme. Nous avons eu en dernier lieu une tragédie nouvelle, Spartacus de M. Saurin ; elle ne vaut pas la critique ; enfin, de tous nos auteurs nouveaux, en y comprenant M. de Pompignan, c’est Chàteaubrun[1], sans contredit, celui que j’aime le mieux ;

  1. Jean-Baptiste Vivien de Châteaubrun était né à Angoulême en 1686. En 1753 il fut reçu membre de l’Académie française, et mourut à Paris en 1775 à