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Hélas ! tout, je le vois, est à craindre pour nous ;
Votre milice est invincible,
De vos héros fameux le dieu Mars est jaloux,
La fougue française est terrible ;
Et je crois déjà voir, car la chose est plausible,
Vos ennemis vaincus tremblant à vos genoux.
Mais je crains beaucoup plus votre rare prudence,
Qui par un fortuné destin
À du souffle d’Éole, utile à la finance.
Abondamment enflé les outres de Bertin[1].


Vous parlez à votre aise de cette cruelle guerre. Sans doute les contributions que votre seigneurie de Ferney donne à la France nourrissent la constance des ministres à la prolonger. Refusez vos subsides au Très-Chrétien, et la paix s’ensuivra. Quant aux propositions de paix dont vous parlez[2], je les trouve si extravagantes que je les assigne aux habitants des petites-maisons, qui seront dignes d’y répondre. Que dirai-je de vos ministres ?


Certes ces gens sont fous, ou ces gens sont des dieux[3].


Ils peuvent s’attendre de ma part que je me défendrai en désespéré ; le Hasard[4] décidera du reste.


      De cette affreuse tragédie
Vous jugez en repos parmi les spectateurs.
Et sifflez en secret la pièce et les acteurs ;
Mais de vos beaux esprits la cervelle étourdie
      En a joué la parodie.
Vous imitez les rois : car vos fameux auteurs
De se persécuter ont tous la maladie.
Nos funestes débats font répandre des pleurs,
      Quand vos poétiques fureurs
Au public né moqueur donnent la comédie.
      Si Minerve de nos exploits
Et des vôtres un jour faisait un juste choix,
Elle préférerait, et j’ose le prédire.
Aux fous qui font pleurer les peuples et les rois.
      Les insensés qui les font rire.


Je vous ferai payer jusqu’au dernier sou, pour que Louis du Moulin[5] ait de quoi me faire la guerre. Ajoutez dixième au vingtième, mettez des capitations nouvelles, créez des charges pour avoir de l’argent ; faites, en un mot, ce que vous voudrez : nonobstant tous vos efforts, vous n’aurez la paix signée de mes mains qu’à des conditions honorables à ma nation. Vos

  1. Ces vers ont été aussi insérés par Frédéric dans sa lettre à d’Argens, du 20 mars 1760.
  2. On n’a pas retrouvé la lettre où Voltaire parlait de paix à Frédéric. (Cl.)
  3. Épître à Algarotti (1735), voyez tome X.
  4. Voyez le commencement de la lettre 3820.
  5. Voyez la note, tome XV, page 242.