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vos lettres. Que fait notre philosophe de Bohême ? n’est-il pas ambassadeur de la ville de Francfort, que nous n’aimons guère ? S’il demande de l’argent pour elle, je ferai arrêt sur la somme. Comment se porte M. d’Épinai ? ne diminue-t-il pas sa dépense comme les autres, en bon citoyen ? Où en est monsieur votre fils de ses études ? ne va-t-il pas un train de chasse ? Encore une fois, madame, écrivez-moi ; je m’intéresse à tout ce que vous faites, à tout ce que vous pensez, à tout ce qui vous regarde, et je vous aime respectueusement de tout mon cœur.


3988. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 30 novembre.

Mon adorable ange, je vois bien, par votre lettre, que M. le duc de Choiseul est encore plus estimable que je ne le croyais ; je vois sa franchise noble et digne d’un meilleur temps, et surtout je vois que son cœur est digne de vous aimer. Il vous a mis au fait de tout ; il ne peut assurément mieux placer sa confiance. Je lui envoie aujourd’hui un gros paquet de Luc ; peut-être, avec le temps, on tirera quelque avantage des lettres que je fais passer. Je ne suis point jaloux du roi[1] d’Espagne, s’il fait la paix ; moi, Jodelet, je ne vais point sur les brisées de Sa Majesté catholique.

Sérieusement, mon cher ange, je n’ai eu aucune envie de me faire de fête ; j’ai seulement rêvé que, pouvant aller souvent chez l’électeur palatin, qui daigne m’aimer un peu, et chez Mme la duchesse de Gotha, et même à Londres, où l’on m’a invité vingt fois, je pourrais, dans l’occasion, faire passer au ministre un compte fidèle de ce que j’aurais vu et entendu. Je me flatte que M. le duc de Choiseul ne me prend pas pour un alticinctus[2] qui cherche pratique. Je suis frappé de nos malheurs ; et, s’il s’agissait de m’arracher à ma charmante retraite pour aller ramasser quelque caillou qui pût servir parmi les fondements qu’on cherche pour établir l’édifice de la paix, j’aurais été chercher ce caillou dans l’Elbe ou dans la Tamise ; mais. Dieu merci, je serai inutile, et je ne quitterai probablement pas mes étables, ma bergerie, et mon cabinet.

Permettez-moi de laisser dormir mes Chevaliers jusqu’en janvier. Pour les oublier mieux, je me mets au second volume de

  1. Charles III.
  2. Mot employé par Phèdre, liv. II, fab, v, v. 11.