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avide d’en connaître le fond et les accessoires. Le Journal de Pierre le Grand passe bien légèrement sur cet important article.

Je ne doute pas, monsieur, que vous ne me fassiez communiquer ce qu’on pourra confier de vos archives. Soyez bien sûr que je ne veux être éclairé que pour assurer mieux la gloire de votre législateur. Vous savez qu’on ne peut donner de crédit aux belles actions qu’en ne dissimulant rien ; mais qu’en disant la vérité on peut toujours la présenter dans un jour favorable. On a imprimé depuis deux ans, à Londres, les Mémoires de Whitworth[1], envoyé d’Angleterre à votre cour dans le commencement du siècle. Ces Mémoires ne sont pas trop favorables à l’impératrice Catherine et ne rendent pas à Pierre le Grand toute la justice qui lui est due. Je suis obligé quelquefois de réfuter plus d’un auteur, surtout le chapelain Nordberg, l’historien passionné de Charles XII, mais très-maladroit dans sa passion, et très-peu judicieux dans ses idées.

Quelques-uns de nos savants de Paris veulent que les Sibériens viennent des Huns, les Huns des Chinois, les Chinois des Égyptiens ; on peut égayer une préface[2] en montrant le ridicule de ces chimères. Il n’y a pas grand profit à faire pour l’esprit humain à rechercher l’ancienne histoire des Huns et des ours, qui ne savaient pas plus écrire les uns que les autres.

Il s’agit de l’histoire de celui qui a créé des hommes. Comme il ne faut rien que de vrai dans cette histoire, je vous ai supplié, monsieur, de vouloir bien me dire si je dois employer le discours qu’on attribue à Pierre le Grand, en 1714 : « Mes frères, qui de vous aurait pensé, il y a trente ans, que nous gagnerions ensemble des batailles sur la mer Baltique[3] ? etc. » Ce discours, s’il est authentique, est un morceau très-précieux.

Mon estime pour le jeune M.  de Soltikof augmente à mesure que j’ai l’honneur de le voir. Il est bien digne de vos bienfaits. Son goût pour s’instruire, son assiduité à l’étude, son esprit, qui est au-dessus de son âge, justifient tout ce que votre générosité fait pour lui. Je ne puis, en vous parlant de lui, oublier le général de son nom[4], qui se couvre de tant de gloire, et qui en acquiert une nouvelle à votre empire.

  1. An Account of Russia, as it was in the year 1710 ; by Charles lord Whitworth. Printed at Strawberry-Hill, 1758, in-8o.
  2. Voyez tome XVI, page 381.
  3. Voyez tome XVI, page 554.
  4. Le comte Pierre-Simon Soltikof, l’un des vainqueurs de Frédéric II à Kunnersdorff, le 12 août 1759. Mort à la fin de 1772.