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Mèrope. Soyez très-convaincue que vous, et M. le chevalier de Florian[1], et le juriconsulte[2], vous auriez été bien étonnés, et que vous auriez fondu en larmes.

Nous avions à nos Délices. M. le marquis de Chauvelin, ambassadeur à Turin, et madame sa femme, députés de M. le duc de Choiseul et de la tribu d’Argental, pour savoir comment j’étais venu à bout de la Chevalerie. Ce voyage ne les a guère détournés de la route de Turin, et je peux vous dire qu’ils ne sont pas mécontents d’avoir allongé leur chemin. Ils auraient beau courir tous les théâtres de l’Europe, ils ne verraient rien de si plaisant qu’un Français-Suisse qui a fait la pièce, le théâtre, et les acteurs. Votre sœur a joué comme Mlle Dumesnil ; je dis comme Mlle Dumesnil dans son bon temps. Cela paraît un conte, une exagération d’oncle ; cela est pourtant très-vrai, et je le sais de cent personnes qui me l’ont toutes attesté par leurs larmes. Moi, qui vous parle, je vous apprends que je suis un assez singulier vieillard. Ah ! ma chère nièce, que nous vous avons regrettée ! C’est à présent qu’il faudrait être chez nous : notre Carthage est fondée. Nous avons eu l’insolence de recevoir M. et Mme de Chauvelin avec une magnificence à laquelle ils ne s’attendaient pas ; mais on ne peut trop faire pour de tels hôtes ; il n’y a rien de plus aimable dans le monde. Ils réunissent tous les talents et toutes les grâces ; ils séduiraient un amiral anglais, et feraient tomber les armes des mains du roi de Prusse.

Je suis excédé de plaisir et de fatigue : voilà pourquoi je ne vous écris point de ma main ; mais c’est mon cœur qui vous écrit, c’est lui qui vous dit combien il vous regrette, vous et les vôtres.


3964. — À M. TRONCHIN, DE LYON[3].
Délices, 5 novembre.

Vos Délices, mon cher ami, ont été assez magnifiques ces jours-ci. Sans doute monsieur votre frère vous rend compte de nos plaisirs. M. de Chauvelin ne sera pas probablement secrétaire d’État ; mais il sera toujours un homme d’un très-grand crédit, et, ce qui vaut le mieux, un homme très-aimable. Sa femme est charmante. Je crois qu’ils ne sont pas mécontents de la réception que nous leur avons faite. Je vous avoue que je rougis de mes plaisirs

  1. François de Claris de Florian, né en mars 1718 ; père de l’auteur d’Estelle.
  2. M. d’Hornoy ; voyez la note, tome XXXVIII, page 401.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.