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Je soupçonne que vous êtes actuellement dans cette grande villace de Paris, où tout le monde craint, le matin, pour ses rentes, pour ses billets de loterie, pour ses billets sur la Compagnie, et où l’on va le soir battre des mains à de mauvaises pièces, et souper avec des gens qu’on fait semblant d’aimer.

J’ai appris avec douleur la perte de notre ami Formont : c’était le plus indifférent des sages. Vous avez le cœur plus chaud, avec autant de sagesse, pour le moins. Je le regrette beaucoup plus qu’il ne m’aurait regretté, et je suis étonné de lui survivre. Vivez longtemps, mon ancien ami, et conservez-moi des sentiments qui me consolent de l’absence.

Notre odoriférant marquis[1] a fait un effort qui a dû lui coûter des convulsions ; il m’a payé mille écus par les mains de son receveur des finances. Il faudra que je présente quelquefois des requêtes à son conseil. Le bon droit a besoin d’aide auprès des grands seigneurs, et je vous remercie de la vôtre. Si le marquis savait que j’ai acheté une belle comté[2], il redouterait ma puissance, et traiterait avec moi de couronne à couronne.

Bonsoir, mon ancien ami. On dit que le cardinal de Bernis a la jaunisse ; vous êtes plus heureux que tous ces messieurs-là. V.


3749. — À M. LE COMTE DE TRESSAN.
Au Délices, 12 janvier.

Oui, il y a bien quarante ans, mon charmant gouverneur, que je vis cet enfant pour la première fois, je l’avoue ; mais avouez aussi que je prédis dès lors que cet enfant serait un des plus aimables hommes de France. Si on peut être quelque chose de plus, vous l’êtes encore. Vous cultivez les lettres et les sciences, vous les encouragez. Vous voilà parvenu au comble des honneurs, vous êtes à la tête de l’Académie de Nancy.

Franchement, vous pourriez vous passer d’académies, mais elles ne peuvent se passer de vous. Je regrette Formont, tout indifférent qu’était ce sage ; il était très-bon homme, mais il n’aimait pas assez. Mme de Graffigny[3] avait, je crois, le cœur plus sensible ; du moins les apparences étaient en sa faveur. Les voilà tous deux arrachés à la société dont ils faisaient les agré-

  1. De Lézeau, que Voltaire appelle puant dans sa lettre du 28 mars 1760.
  2. Le mot comté était autrefois du genre féminin ; c’est ainsi que l’on dit encore la Franche-Comté.
  3. Morte le 12 décembre 1758.