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Vous m’avez laissé ignorer la bonne plaisanterie de la grand’chambre, qui voulait députer à l’infant, et empêcher qu’aucun conseiller du parlement connût jamais les intérêts d’aucun État. Enfin vous voilà compatible. Est-il vrai que vos confrères ont rendu un arrêt contre ceux qui ne saignent pas dans la pleurésie ? Cet arrêt doit être imprimé avec celui qui condamne l’Encydopédie. On pourrait faire un beau volume de ces arrêts-là.

Qu’importe, mon cher ange, qu’on donne mon Russe tome à tome ou tout en bloc ? C’est l’affaire des libraires, et je ne m’en mêle pas. Je me mêle de plaire à l’autocratrice de tous les Russies ; il me faut une impératrice au moins dans mes intérêts, car je ne peux en conscience aimer Luc ; ce roi n’a pas une assez belle âme pour moi. Il me semble que M. le duc de Choiseul le connaît bien. Je vous demande en grâce, mon cher ange, de souhaiter au moins qu’il soit puni.

Et ce polisson de Gresset[1], qu’en dirons-nous ? Quel fat orgueilleux ! quel plat fanatique ! et que les vers de Piron sont jolis ! Mais que M. d’Espagnac est raboteux ! qu’il est difficile ! il demande des choses impossibles, des choses que je n’ai point. C’est le dieu des jansénistes ; il commande pour qu’on n’obéisse pas. Je lui ai donné dix fois plus d’éclaircissements que jamais aucun possesseur de Ferney n’en a donné depuis le xiie siècle. Je suis aussi honteux que reconnaissant de vos bontés, de vos peines, de celles de M. l’ambassadeur de Chauvelin ; je baise toutes les ailes.

Je ne peux encore penser à un sous-brevet pour Tournay ; je ne peux que songer à vous, mes anges, à Pierre le Grand, à mes chevaliers, et à mes foins, vous embrasser tendrement avec la plus vive reconnaissance, et vous aimer à jamais. Je suis très-malingre ; comment vous portez-vous ?


3881. — À M. DE CIDEVILLE.
Aux Délices, 29 juin.

Eh bien ! mon cher ami, vous êtes donc revenu à vos moutons ; mais vous les quittez tous les ans, et je n’abandonne jamais les miens, quoiqu’ils ne soient pas si gras que les vôtres.

Vous êtes enthousiasmé, avec raison, de notre ministre des

  1. Il venait de publier sa Lettre sur la comédie, où il appelle la poésie un art dangereux, et où il déclare renoncer pour toujours au théâtre ; voyez le premier alinéa de la lettre 3879.