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2572. — DE MADAME DENIS À MILORD MARÉCHAL[1].
À Francfort, ce 11 juin.

J’ai à peine la force de vous écrire, milord. J’arrive ici très-malade, et j’y trouve mon oncle mourant et en prison dans une auberge abominable. Il est affligé de la colère d’un prince qu’il a adoré et qu’il voudrait aimer encore ; mais son innocence lui donne un courage dont je suis étonnée moi-même au milieu de tous les maux qui l’environnent. Il est très-vrai qu’il n’a point le contrat dont il est question, il est très-vrai qu’il a cru me l’avoir envoyé, et que peut-être il me l’a envoyé en effet ; il se peut faire qu’il se soit perdu dans une lettre qui ne me sera point parvenue comme bien d’autres, peut-être aussi sera-t-il dans cette caisse qui est en chemin pour revenir ou dans ses papiers à Paris. Pour obvier à tous ces inconvénients, n’ayant pas la force d’écrire, il vient de dicter à un homme sur un écrit qui non-seulement le justifie, mais annule à jamais ce contrat, et qui doit assurément désarmer Sa Majesté. Je crois, milord, que vous serez content, d’autant que si jamais ce contrat se retrouve notre premier soin sera de le rendre, malgré l’écrit que nous vous envoyons.

Je suis si malade, et mon oncle me donne pour sa vie des inquiétudes si réelles, qu’il ne me reste que la force de vous demander pour lui et pour moi votre amitié.


Mignot Denis.

2573. — DE MADAME DENIS AU ROI DE PRUSSE[2].
De Francfort-sur-le-Mein, ce 11 juin.

Sire, je n’aurais jamais osé prendre la liberté d’écrire à Votre Majesté sans la situation cruelle où je suis. Mais à qui puis-je avoir recours, sinon à un monarque qui met sa gloire à être juste et à ne point faire de malheureux ?

J’arrive ici pour conduire mon oncle aux eaux de Plombières : je le trouve mourant, et pour comble de maux il est arrêté par les ordres de Votre Majesté, dans une auberge, sans pouvoir respirer l’air. Daignez avoir compassion, sire, de son âge, de son danger, de mes larmes, de celles de sa famille et de ses amis : nous nous jetons tous à vos pieds pour vous en supplier.

Mon oncle a sans doute eu des torts bien grands, puisque Votre Majesté, à laquelle il a toujours été attaché avec tant d’enthousiasme, le traite avec tant de dureté. Mais, sire, daignez vous souvenir de quinze ans de bontés dont vous l’avez honoré, et qui l’ont enfin arraché des bras de sa famille, à qui il a toujours servi de père.

  1. Éditeur, Varnhagen von Ense.
  2. Publiée par Preuss d’après le. Berliner Kalender für 1846 ; Berlin, Reimarus pages 37 et 38.