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un pareil sujet, à des extrémités que son rang et sa dignité désavoueraient, aussi bien que sa justice, contre un vieillard moribond qui lui avait tout sacrifié, qui ne lui a jamais manqué, qui n’est point son sujet, qui n’est plus son chambellan, et qui est libre. Je me croirais criminel de le respecter assez peu pour craindre de lui une action odieuse … Mais il n’est que trop vraisemblable que son résident se portera à des violences funestes, dans l’ignorance où il est des sentiments nobles et généreux de son maître.

C’est dans ce cruel état qu’un malade mourant se jette aux pieds de Votre sacrée Majesté, pour la conjurer de daigner ordonner, avec la bonté et le secret qu’une telle situation me force d’implorer, qu’on ne fasse rien contre les lois, à mon égard, dans sa ville impériale de Francfort.

Elle peut ordonner à son ministre en cette ville de me prendre sous sa protection ; elle peut me faire recommander à quelque magistrat attaché à son auguste personne.

Sa sacrée Majesté a mille moyens de protéger les lois de l’empire et de Francfort ; et je ne pense pas que nous vivions dans un temps si malheureux que M. Freytag puisse impunément se rendre maître de la personne et de la vie d’un étranger, dans la ville où Sa sacrée Majesté a été couronnée.

Je voudrais, avant ma mort, pouvoir être assez heureux pour me mettre un moment à ses pieds. Son Altesse royale Mme la duchesse de Lorraine[1], sa mère, m’honorait de ses bontés. Peut-être d’ailleurs Sa sacrée Majesté pousserait l’indulgence jusqu’à n’être pas mécontente, si j’avais l’honneur de me présenter devant elle, et de lui parler.

Je supplie Sa Majesté impériale de me pardonner la liberté que je prends de lui écrire, et, surtout, de la fatiguer d’une si longue lettre ; mais sa bonté et sa justice sont mon excuse.

Je la supplie aussi de faire grâce à mon ignorance, si j’ai manqué à quelque devoir dans cette lettre, qui n’est qu’une requête secrète et soumise. Elle m’a déjà daigné donner une marque de ses bontés[2], et j’en espère une de sa justice. Je suis avec le plus profond respect, etc.


Voltaire,
gentilhomme ordinaire de Sa Majesté très-chrétienne.
  1. Elisabeth-Charlotte d’Orléans, née le 13 septembre 1676, sœur du régent ; morte, à Commercy, le 23 décembre 1744.
  2. Voltaire avait offert, en 1752, son Siècle de Louis XIV à l’empereur et à l’impératrice, et les deux souverains lui avaient envoyé en retour une montre et une tabatière.