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les artifices sont, pour les gens de lettres, la plus mauvaise des armes ; l’on se croit un politique, et on n’est que méchant. Point de politique en littérature. Il faut avoir raison, dire la vérité, et s’immoler. Mais faire condamner son ami comme faussaire, et se parer de la modération de ne point assister au jugement ; mais ne point répondre à des preuves évidentes, et payer de l’argent de l’Académie la plume d’un autre ; mais s’unir avec le plus vil des écrivains, ne s’occuper que de cabales, et en accuser ceux mêmes qu’on opprime, c’est la honte éternelle de l’esprit humain.

Les belles-lettres sont d’ordinaire un champ de dispute ; elles sont, dans cette occasion, un champ de bataille. Il ne s’agit plus d’une plaisanterie gaie et innocente sur les dissections des géants, et sur la manière d’exalter son âme pour lire dans l’avenir :


Ludus enim genuit trepidum certamen et iram ;
Ira truces inimicitias et funebre bellum.

(Hor., lib. I, ep. xix, v. 48.)

Je ne dispute point quand il s’agit de poësie et d’éloquence : c’est une affaire de goût ; chacun a le sien ; je ne peux prouver à un homme que c’est lui qui a tort quand je l’ennuie.

Je réponds aux critiques quand il s’agit de philosophie ou d’histoire, parce qu’on peut, à toute force, dans ces matières, faire entendre raison à sept ou huit lecteurs qui prennent la peine de vous donner un quart d’heure d’attention. Je réponds quelquefois aux calomnies, parce qu’il y a plus de lecteurs des feuilles médisantes que des livres utiles.

Par exemple, monsieur, lorsqu’on imprime que j’ai donné avis à un auteur illustre[1] que vous vouliez écrire contre ses ouvrages, je réponds que vous êtes assez instruit par des preuves incontestahles que non-seulement cela est très-faux, mais que j’ai fait précisément le contraire.

Lorsqu’on ose insérer dans des feuilles périodiques que j’ai vendu mes ouvrages à trois ou quatre libraires d’Allemagne et de Hollande, je suis encore forcé de répondre qu’on a menti, et qu’il n’y a pas, dans ces pays, un seul libraire qui puisse dire que je lui aie jamais vendu le moindre manuscrit.

Lorsqu’on imprime que je prends à tort le titre de gentil-

  1. Frédéric II.