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m’en a envoyé est de la plus grande platitude. Gare que ces sottes horreurs ne paraissent sous mon nom ! Ce manant de Fréron en fera un bel extrait.

Je vous demande en grâce, au moins, qu’on ne falsifie pas mon pauvre Orphelin. Je vous conjure qu’on le joue tel que je l’ai fait. Nous venons d’en faire une répétition. Un Tronchin[1] conseiller d’État de Genève, auteur d’une certaine Marie Stuart, a joué, ou plutôt lu, sur notre petit théâtre, le rôle de Gengis passablement ; il a fort bien dit : Vos vertus[2] ; et tout le monde a conclu que c’était un solécisme épouvantable de dire quelque chose après ce mot. Ce serait tout gâter ; la seule idée m’en fait frémir. La scène du poignard a bien réussi ; des cœurs durs ont été attendris.

Je vous embrasse ; je me recommande à vos bontés.


2973. — À M. POLIER DE BOTTENS.
Aux Délices, 5 août.

J’ose attendre de votre amitié, mon cher monsieur, que vous voudrez bien me mettre au fait de la manœuvre du sieur Maubert, et que vous entrerez dans la juste indignation où je suis contre ceux qui ont apporté ici le plat et abominable ouvrage que Grasset m’a voulu vendre cinquante louis d’or. Quel échantillon affreux il m’en préscnta ! cela fait frémir l’honneur et le bon sens. Quel monstre insensé et imbécile a pu fabriquer des horreurs pareilles ? Et comment ai-je pu me dispenser de déférer a la justice ce scandaleux avorton ? Le conseil a fait tout ce que j’ai demandé à ma réquisition, et contre les distributeurs et contre la feuille qu’ils étalaient pour vendre le reste de l’ouvrage. Grasset, au sortir de prison, a été admonété vertement, et conseillé de vider la ville. Il est regardé ici comme un voleur public ; mais, encore une fois, comment peut-il être lié avec Maubert ? et comment Maubert a-t-il avoué que c’est lui qui avait donné la feuille à Grasset ? Il y a là dedans un tissu d’horreurs et d’iniquités dont le fond était le dessein d’escamoter cinquante louis d’or. Je suis obligé de poursuivre cette affaire ; mais, n’ayant nulles lumières, il faut que je l’abandonne. Cela, joint aux maladies qui m’accablent, exerce un peu la patience ; mais, si votre amitié me console, je me croirai

  1. François Tronchin, qui travaillait alors à une tragédie dont Nicéphore III (ou Botoniate) était le principal personnage. — Marie Stuart avait été imprimée à Paris en 1735. (Cl.)
  2. Derniers mots de l’Orphelin de la Chine.