Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de reprocher des fers à des esclaves[1] si gais, qui dansent avec leurs chaines. J’ai mis le bonnet de la Liberté sur ma tête ; mais je l’ôte honnêtement à de jolis esclaves que j’aime. Eh bien ! mon cher philosophe, vous voulez donc aussi vous mêler d’être malade, et vous avez en accident ce que j’ai en habitude, guérissez vite ; pour moi, je ne guérirai jamais ; je suis né pour souffrir. Votre amitié et un peu de casse me soulagent.

J’ai chez moi M. Bertrand[2], de Berne, et je m’en vante. M. le banneret Freudenreich[3] me parait un homme bien estimable ; mais mes maladies ne me permettent pas de jouir de leur société autant que je le voudrais. Je ne sais si j’aurai la force d’aller jusqu’à Berne ; mais vous me donnerez celle d’aller à Monrion.

On dit que les douze chants dont vous m’avez parlé sont une rapsodie abominable. Ce n’est point là, Dieu merci, mon ouvrage : il est en vingt chants, et il y a vingt ans que j’avais oublié cette triste plaisanterie, qui me fait aujourd’hui bien de la peine. Vale, amice.


2948. — DU COMTE D’ARGENSON[4]
à m. berryer, lieutenant général de police.
À Compiègne, ce 7 juillet 1755.

J’ai, monsieur, des avis certains de Genève que Voltaire doit envoyer incessamment à Thieriot une copie manuscrite et complète du poëme de la Pucelle ; vous savez toutes les craintes affectées que Voltaire et Mme  Denis marquent depuis longtemps que cet ouvrage ne perce dans le public par l’infidèlité prétendue d’un domestique chez qui nous avons eu la complaisance d’envoyer faire des recherches infructueuses. Aujourd’hui, c’est Voltaire lui-même qui en envoie une copie. Peut-on présumer que ce soit à autre intention que pour la faire imprimer par celui qui a déjà été plus d’une fois le complice de ses friponneries littéraires ? C’est ce qu’il est, je crois, important d’approfondir, en usant à cet effet de la prudence et des

  1. Allusion à quelques vers de l’Épître sur le lac de Genève, dans lesquels Voltaire parlait des bourgeois de Paris rampant dans l’esclavage.
  2. Élie Bertrand.
  3. Le banneret (ou banderet) Frcedenreich est souvent nommé, ainsi que sa femme, dans la correspondance de Voltaire avec le pasteur Bertrand. Voltaire lui écrivit même plusieurs fois ; mais je ne connais encore (1829) aucune de ses lettres à cet ami de Bertrand et de Clavel de Brenles. Freudenreich, né en 1692, mourut en 1773. Il fut un de ceux que Voltaire alla voir à Berne, au mois de mai 1756. (Cl.)
  4. Desnoiresterres, Voltaire aux Délices, page 100.