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Prusse ; c’est que si les choses dont vous m’avez bien voulu avertir, et que j’ai sues par tant d’autres, ne sont pas vraies ; si Maupertuis n’a pas trompé La Beaumelle, tandis qu’il était à Berlin, pour l’exciter contre moi ; si Maupertuis peut se laver des manœuvres criminelles dont la lettre de La Beaumelle le charge, je suis prêt à demander pardon publiquement à Maupertuis. Mais aussi, monsieur, si vous ne m’avez pas trompé, si tous les autres témoins sont unanimes ; s’il est vrai que Maupertuis, parmi les instruments qu’il a employés pour me perdre, n’ait pas dédaigné de me calomnier, même auprès de La Beaumelle, et de l’exciter contre moi, il est évident que le roi de Prusse me doit rendre justice.

Je ne demande rien, sinon que ce prince connaisse qu’après lui avoir été passionnément attaché pendant quinze ans, ayant enfin tout quitté pour lui dans ma vieillesse, ayant tout sacrifié, je n’ai pu certainement finir par trahir envers lui des devoirs que mon cœur m’imposait. Je n’ai d’autres ressources que dans les remords de son âme royale, que j’ai crue toujours philosophe et juste. Ma situation est très-funeste ; et quand la maladie se joint à l’infortune, c’est le comble de la misère humaine. Je me console par le travail et par les belles-lettres, et surtout par l’idée qu’il y a beaucoup d’hommes qui valaient cent fois mieux que moi, et qui ont été cent fois plus infortunés. Dans quelque situation cruelle que nous nous trouvions, que sommes-nous pour oser murmurer ?

Au reste, je ne vous ai rien écrit que je ne veuille bien que tout le monde sache, et je peux vous assurer que, dans toute cette affaire, je n’ai pas eu un sentiment que j’eusse voulu cacher.

Je suis, monsieur, etc.


2557. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS.
Le 26 mai.

Mon cher révérend diable et bon diable, j’ai reçu avec une syndérèse cordiale votre correction fraternelle. J’ai un peu lieu d’être lapsus, et les damnés rigoristes pourraient bien me refuser place dans nos enfers ; mais je compte sur votre indulgence. Vous comprendrez que c’en serait un peu trop d’être brûlé[1] dans

  1. La Diatribe du docteur Akakia avait été brûlée le 24 décembre 1752 ; voyez tome XXIII, page 560.