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Si les comédiens entendaient leurs intérêts, ils joueraient à présent toutes mes pièces, et je ne désespérerais pas qu’Oreste n’eût quelque succès ; mais je ne dois plus me mêler des vanités de ce monde.

Je vous demande pardon, mon cher et respectable ami, de vous importuner de mes plaintes contre Lambert. Je vous supplie de lui faire parvenir cette nouvelle lettre[1], et d’exiger de lui qu’il envoie chez Mme Denis tous mes livres ; c’est assurément un détestable correspondant. Je suis honteux de lui écrire une lettre plus longue qu’à vous ; mais il faut épargner ce port, et j’ai tant à me plaindre de Lambert que je n’ai pu être court avec lui. Mme Denis, ma garde-malade, vous fait mille compliments.


2839. — À M. DE BRENLES.
Prangins, 31 décembre.

Puisque les hommes sont assez barbares pour punir de mort la faute d’une fille qui dérobe une petite masse de chair aux misères de la vie, il fallait donc ne pas attribuer l’opprobre et les supplices à la façon de cette petite masse de chair. Je recommande cette malheureuse fille à votre philosophie généreuse. Nous espérons avoir l’honneur de vous voir à Prangins, quand vous aurez fini cette triste affaire. Il est vrai que nous sommes, ma nièce et moi, dans une maison d’emprunt, et qu’il s’en faut beaucoup que nous ayons un ménage monté ; mais le régisseur de la terre nous aide, et nous sommes d’ailleurs des philosophes ambulants qui, depuis quelque temps, ne sommes point accoutumés à nos aises.

Nous resterons à Prangins jusqu’à ce que nous puissions nous orienter. Je vois qu’il est très-difficile d’acquérir ; qu’importe, après tout, pour quatre jours qu’on a à vivre, d’être locataire ou propriétaire ? La chose vraiment importante est de passer ces quatre jours avec des êtres pensants.

Je n’en connais point avec qui j’aimasse mieux achever ma vie que M. et Mme de Brenles ; nous n’avons de compatriotes que des philosophes, le reste n’existe pas. Je reçois, dans le moment, une lettre de la pauvre Mme Goll ; son sort est fort triste d’avoir été obligée d’épouser un Goll, et de l’avoir perdu. On la chicane sur tout ; on ne lui laissera rien. Le mieux qu’elle puisse faire

  1. Lettre perdue.