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d’un public de province, beaucoup plus enthousiasmé que celui de Paris, le premier jour[1] de Mérope, ne guérissent point les maladies dont je suis accablé, ne consolent point mes chagrins, et ne bannissent point mes craintes ; c’est de vous seul que j’attends du soulagement. On me donne tous les jours des inquiétudes mortelles sur cette maudite Pucelle. Il est avéré que Mlle  du Thil[2] la possède ; elle l’a trouée chez feu Mme du Châtelet. Il n’est que trop vrai que Pasquier avait lu le chant de l’âne chez un homme qui tient son exemplaire de Mlle  du Thil, et que Thieriot a eu une fois raison. Je me rassurais sur son habitude de parler au hasard, mais le fait est vrai. Un polisson nommé Chévrier a lu tout l’ouvrage, et enfin il y a lieu de croire qu’il est entre les mains d’un imprimeur, et qu’il paraîtra aussi incorrect et aussi funeste que je le craignais. Cependant je ne peux ni rester à Lyon dans de si horribles circonstances, ni aller ailleurs dans un état où je ne peux me remuer. Je suis accablé de tous côtés, dans une vieillesse que les maladies changent en décrépitude, et je n’attends de consolation que de vous seul. Je vous demande en grâce de vous informer, par vos amis et par le libraire Lambert, de ce qui se passe, afin que du moins je sois averti à temps, et que je ne finisse pas mes jours avec Talhouet[3]. Je vous ai écrit trois fois de Lyon ; votre lettre me sera exactement rendue ; je l’attends avec la plus douloureuse impatience, et je vous embrasse avec larmes. Vous devez avoir pitié de mon état, mon cher ange.


2824. — À M. THIERIOT.
À Lyon, le 3 décembre.

Votre lettre, mon ancien ami, m’a fait plus de plaisir que tout l’enthousiasme et toutes les bontés dont la ville de Lyon m’a honoré. Un ami vaut mieux que le public. Ce que vous me dites d’une douce retraite avec moi, dans le sein de l’amitié et de la littérature, me touche bien sensiblement. Ce ne serait peut-être pas un mauvais parti pour deux philosophes qui veulent passer tranquillement leurs derniers jours. J’ai avec moi, outre ma nièce, un Florentin[4] qui a attaché sa destinée à la mienne. Je compte m’établir dans une terre sur les lisières de la Bourgogne,

  1. Voyez la lettre 1569, et une autre version dans le Commentaire historique.
  2. Femme de chambre de Mme du Châtelet.
  3. Voyez tome XXXIII, page 89.
  4. Colini.