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et tout prêts à prendre un parti bien triste. Quelque chose que je dise à Mme  Denis, je ne peux la résoudre à séparer sa destinée de la mienne. Le comble de mon malheur, c’est que l’amitié la rende malheureuse. Si vous aviez quelque chose à me dire, quelque ordre à me donner, je vous supplie d’adresser toujours vos ordres à Colmar ; vos lettres me seront très exactement rendues.

Je ne crois pas que le cérémonial ait entré dans la tête de Mme  la margrave de Baireuth. Elle ne fait point difficulté d’aller affronter un vice-légat italien ; elle serait beaucoup plus aise de voir celui qui fait l’honneur et les honneurs de la France ; elle voyage incognito. On n’est plus au temps où le puntiglio[1] faisait une grande affaire, et vous êtes le premier homme du monde pour mettre les gens à leur aise. Je crois qu’elle ne ma point trompé quand elle ma dit qu’elle craignait la foule des états et l’embarras du logement. Elle n’est pas si malingre que moi, mais elle a une santé très-chancelante, qui demande du repos sans contrainte. Elle trouverait tout cela avec vous, avec les agréments qu’on ne trouve guère ailleurs. Reste à savoir si elle aura la force de faire le petit chemin d’Avignon à Montpellier, car on dit qu’elle est tombée malade en route. Elle a un logement retenu dans Avignon, elle n’en a point à Montpellier, Pour moi, je voudrais être caché dans un des souterrains du Merdenson, et vous faire ma cour le soir, quand vous seriez las de la noble assemblée. Mais je suis, de toutes façons, dans un état à n’espérer plus dans ce monde d’autre plaisir que celui de vous être attaché avec le plus tendre respect, de vous regretter avec larmes, et de souffrir tout le reste patiemment.


2813. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU[2].
À Colmar, ce 10 novembre.

Malgré ce que je vous ai écrit, monseigneur, malgré l’état où je suis, malgré la mauvaise santé de ma nièce, nous partons. Le plaisir de vous revoir l’emporte. Dieu veuille encore que j’en jouisse ! Mme  Denis prétend que vous nous ferez tous deux enterrer en arrivant. J’ai peur seulement que ce ne soit pas en terre sainte. En un mot, je pars, et le cœur me conduit ; on dit

  1. Mot italien qui veut dire pointillerie
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.