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2798. — À M. LE PRÉSIDENT HENAUT.
À Colmar, le 15 octobre.

J’apprends, monsieur, que vous avez été quelque temps comme je suis toujours. On me mande que vous avez été trés-malade. Soyez bien persuadé que personne ne prend plus d’intérêt que moi à votre santé. Si vous êtes actuellement, comme je m’en flatte, dans votre convalescence, permettez que je vous demande votre protection auprès de Royer et pour Royer. Il a fait précisément de la tragédie de Pandore ce que Néaulme a fait de l’Histoire universelle. On me vole mon bien de tous côtés, et on le dénature pour le vendre.

Si j’en crois tout ce qu’on m’écrit, le plus grand service qu’on puisse rendre à Royer est de l’empêcher de donner cet opéra. On assure que la musique est aussi mauvaise que son procédé. Je vous demande en grâce de l’envoyer chercher, et de vouloir bien lui représenter ce qui est de son intérêt et de son honneur. M. de Moncrif m’a envoyé la pièce telle qu’on la veut jouer, et telle que M. Royer l’a fait refaire par un nommé Sireuil, ancien porte-manteau du roi. Cette bigarrure serait l’opprobre de la littérature et de la nation. Vous faites trop d’honneur aux lettres, monsieur, pour souffrir cette indignité si vous avez le crédit de l’empêcher. J’ai écrit une lettre[1] de politesse à Royer, avant de savoir de quoi il était question ; mais à présent que je suis au fait, je suis bien loin de consentir à son déshonneur et au mien. Si on ne peut parvenir à supprimer cet opéra, ne pourrait-on pas, au moins, engager Royer à différer d’une année ? Et si on ne peut différer cet opprobre, je demande à M. le comte d’Argenson qu’on ne débite point l’ouvrage à l’Opéra sans y mettre un titre convenable, et qui soit dans la plus exacte vérité. Voici le titre que je propose : Promèthèe, fragments de la tragédie de Pandore, déjà imprimée, à laquelle le musicien a fait substituer et ajouter ce qu’il a cru convenable au théâtre lyrique, pendant l’éloignement de l’auteur. Je vous demande bien pardon, monsieur, de vous entretenir de ces bagatelles ; mais les bontés dont vous m’honorez me servent d’excuse. Je vous supplie de compter sur les sentiments d’estime, de tendresse, et de reconnaissance, qui m’attachent à vous. Je n’écris point à Mme du Deffant, et j’en suis bien fâché ; mais les maladies continuelles qui m’accablent m’interdisent tous les plaisirs.

  1. La lettre 2789.